Les Récits de la Tradition

La Colère d’une mère

(Hadith rapporté par at-Tabarânî et Ahmad)

À l’époque du Prophète Muhammad (saw), vivait un homme prénommé ‘Alqama. C’était un bon musulman qui vouait un amour sincère à Dieu et qui faisait tout pour suivre les enseignements du Prophète (saw). Il passait des heures en prière dans l’obscurité de la nuit, et il consacrait ses journées au jeûne aussi souvent que possible. C’était un homme simple, qui aimait la compagnie des pauvres, et il dépensait sans compter pour les aider et soulager leurs peines. Quiconque l’approchait l’aimait aussitôt, et personne n’avait jamais eu à se plaindre de lui.

Un jour, ‘Alqama tomba malade. Au début, sa famille ne s’inquiéta pas, pensant qu’il était simplement fatigué, mais sa maladie dégénéra rapidement, si bien que, bientôt, il ne put plus quitter sa couche. Son épouse s’inquiéta et commença à vraiment avoir peur pour lui. Elle avait tenté de le soigner du mieux qu’elle pouvait et elle le veilla plusieurs nuits, mais peu à peu l’évidence s’imposait à elle : son époux ‘Alqama allait mourir.

Désemparée, et en proie à une profonde tristesse, la pauvre jeune femme alla voir le Prophète (saw) pour qu’il aide son époux dans ces derniers moments. Elle se présenta à lui et le salua avec respect. Puis elle lui dit :
– Messager de Dieu, mon époux, ‘Alqama, est sur son lit de mort. Il vit ses derniers instants. Je voulais te prévenir de cela.

Mais sa pudeur l’empêcha de demander davantage au Prophète.
Ce dernier était triste, car il aimait beaucoup le jeune homme, il le voyait prier derrière lui, il venait discuter avec lui de temps à autre. Mais il était en train de gérer une chose importante pour l’ensemble de la communauté et ne pouvait se rendre au chevet du jeune homme dans l’immédiat. Il envoya alors Bilâl et ‘Ammâr, ses deux proches compagnons, en leur demandant d’accompagner ‘Alqama dans ses derniers instants. Il insista en leur disant :
– Surtout, ne le laissez pas quitter ce monde sans qu’il ait eu pour dernière parole La Illaha Ila Allah.

Le Prophète savait que c’était là une bonne provision pour rencontrer son Seigneur. Alors, les deux Compagnons se rendirent à son chevet. Quand ils le virent ainsi, presque sans vie, ils eurent beaucoup de peine. Ils se souvinrent des bons moments passés en sa belle compagnie, et maintenant, ‘Alqama était là, allongé sur son lit, en train de souffrir de tout son être, Ils s’approchèrent de lui. L’un d’eux posa sa main sur ses cheveux, s’approcha de son oreille et le salua ‘Alqama souffrait tellement qu’il ne les avait même pas entendus entrer, mais quand il vit ses deux amis, un sourire illumina son visage bien fatigué. Il répondit à leur salut. L’un des deux Compagnons lui dit alors :
– ‘Alqama, Dieu a, semble-t-il, décidé de te rappeler à Lui. Et tu vas goûter à la promesse du Paradis tant attendu. Le prophète nous envoie à toi, cher frère, pour t’accompagner et t’aider à prononcer ta shahâda. Elle sera pour toi la meilleure des provisions auprès de notre Seigneur.

Alors ‘Alqama leva son index droit, désireux de bien agir jusqu’à la fin, et il ouvrit la bouche pour prononcer les paroles qui avaient rythmé sa vie depuis sa conversion. Mais là, aucun mot ne put sortir de sa bouche. Etait-ce trop tard ? L’ange de la mort était-il déjà prêt à se saisir de l’âme de notre pauvre homme ? Pourtant il respirait encore… ‘Ammar et Bilâl tentèrent d’aider ‘Alqama à prononcer ces paroles, ils le redressèrent un peu pour qu’il puisse respirer plus facilement, mais toujours aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche.

Les Compagnons comprirent que le problème était ailleurs. Alors ils prirent congé de ‘Alqama et de son épouse, en promettant de revenir au plus vite. Dès qu’ils franchirent le pas de la porte, ils se précipitèrent auprès du Prophète afin de lui raconter ce qu’il venait de se passer :
– Nous avons tout essayé, Messager de Dieu, dirent-ils inquiets pour leur ami, mais ‘Alqama est incapable de prononcer la shahâda. Et nous ne savons pas pourquoi.

Le Prophète (saw) prit un temps pour réfléchir, puis dit :
– Reste-t-il à notre compagnon un de ses parents ?
– Oui, sa mère est encore en vie, elle vit à Médine, mais elle est très âgée, Messager de Dieu.

Alors le Prophète envoya un Compagnon avec un message à l’intention de la mère de ‘Alqama. Dès qu’il arriva aupres d’elle, le Compagnon lui dit :
– Le Messager de Dieu souhaite te parler, noble mère. Il t’invite à venir le voir, si cela ne te gêne pas, sinon il viendra afin de ne pas te fatiguer.

Dès que la mère de ‘Alqama entendit le message du Prophète, elle exulta :
– Je donnerai ma vie pour lui, comment n’irais-je pas jusqu’à lui ? Allez, mon enfant ! Conduis-moi donc auprès du Messager de Dieu !

Et elle suivit le messager du Prophète, appuyée sur sa canne et marchant avec difficulté. Quand enfin elle arriva devant le Prophète, ce dernier la salua avec sa chaleur et son hospitalité légendaires. Puis il l’invita à s’asseoir et lui dit :
– Sois la bienvenue, mère de ‘Alqama. Je suis heureux de te voir. Si je t’ai demandé de venir c’est dans un but bien précis. Mais je te demanderai de me dire la vérité, car si tu ne le fais pas, Dieu Lui-même me la dira. J’ai besoin de savoir ce qu’il se passe avec ton fils.

La mère de ‘Alqama ne comprit pas immédiatement, et son instinct de mère la poussa à dépeindre son fils de la meilleur des manières.
– Que voudrais-tu que je te dise, Messager de Dieu ? C’est un bon garçon, il prie beaucoup, jeûne régulièrement et dépense des sommes considérables en aumône.

Mais le Prophète savait déjà cela. Il avait compris que si ‘Alqama ne parvenait pas à prononcer sa shahâda, c’est parce qu’un péché empêchait sa langue de se délier.
Il décida de creuser :
– Et qu’en est-il de son rapport avec toi ? Est-ce un bon fils ?

Et là, le visage de la vieille dame s’assombrit, et elle dit, avec un peu d’amertume :
– Non, Messager de Dieu. Tout ne va pas bien. Malheureusement, je suis fâchée contre mon fils.
– Pour quelle raison ?, insista le Prophète.
– Parce qu’il privilégie son épouse autant qu’il le peut et, par conséquent, me néglige et fait preuve d’injustice à mon égard. Il me désobéit et n’écoute plus sa vieille maman.

Le Prophète la regarda alors profondément, comme pour être sûr qu’elle comprenne bien ce qu’il s’apprêtait à lui dire :
– Il ne fait aucun doute, Umm ‘Alqama, que c’est ta colère à son égard qui empêche la langue de ton fils de prononcer la shahâda. Et nous ne pouvons rien faire contre cela.

Il se tourna alors vers Bilâl qui était présent, et lui dit :
– Bilâl, va ramasser du bois afin de faire un feu !

La mère de ‘Alqama ne comprit pas pourquoi le Messager de Dieu fit une telle demande à Bilâl. Quel rapport le fait de ramasser du bois pouvait-il y avoir avec son fils ?
Alors elle osa demander :
– Prophète, pourquoi veux-tu du bois ? Que comptes-tu en faire ?

Et le Prophète de lui répondre :
– J’ai bien l’intention de brûler ton fils sous tes yeux.

Umm ‘Alqama était horrifiée. Comment ! Le Prophète allait brûler son fils devant elle ?!
– Mais, Messager de Dieu, protesta-t-elle, c’est mon fils, Jamais mon Cœur ne souffrira de le voir brûler sous mes yeux !

Mais le Prophète fit mine de se montrer inflexible, en lui disant :
– Umm ‘Alqama, il le faut, car la punition d’Allah est bien plus terrible et plus longue. Voudrais-tu que ton fils aille en Enfer ? Je suis sûr que non. Donc nous sommes obligés de le faire, à moins que…
– À moins que quoi ?, demanda la pauvre mère, prête à tout pour sauver son fils d’un si funèbre destin.
– Sache que Dieu est en colère envers ‘Alqama à cause de sa désobéissance à ton égard. Et Dieu le punira certainement, à moins que tu ne décides de lui pardonner et de te réconcilier avec lui. Par Celui qui détient mon âme entre Ses Mains, sache, Umm ‘Alqama, que toutes ses longues heures de prière, ses journées de jeûne et toute sa générosité à l’égard des pauvres ne serviront à rien à ton fils tant que tu seras en colère contre lui.

La vieille dame tremblait de tout son être. Comment le simple fait d’être insatisfaite de son fils pouvait le mener droit en Enfer ? Alors, avec précipitation, elle dit de sa voie fluette :
– Messager de Dieu, je prends à témoin Dieu le Très-Haut, Ses anges et tous les musulmans ici présents, que je suis satisfaite de mon fils ‘Alqama.

Elle regarda le Prophète avec angoisse, essayant de déceler un signe d’espoir lui permettant de penser que son fils allait être sauvé, et c’est alors que le Messager de Dieu dit à Bilâl :
– Bilâl, retourne auprès de ‘Alqama et tente de lui faire prononcer la shahâda à nouveau, car il se peut que sa mère n’ait dit cela que pour me faire plaisir, et qu’elle n’en pense pas un mot.

Bilâl courut vers la demeure de son ami, et à peine entra-t-il qu’il trouva ‘Alqama en train de dire :
– Seigneur, j’atteste qu’il n’est de dieu que Toi et j’atteste que Muhammad est Ton Messager !

Bilâl regarda son ami et fut soulagé. Il prit alors conscience de l’importance des parents. Le fait que la mère de ‘Alqama puisse être en colère contre lui suffit à lier sa langue, alors que toute sa vie il avait vécu en musulman scrupuleux. Il avait prononcé cette parole si souvent dans sa vie, et pourtant, à l’instant précis où il en avait le plus besoin il fut incapable de le faire. Bilâl en fut à la fois effrayé et pleinement plus convaincu du devoir de l’enfant envers ses père et mère.

Il resta un moment avec ‘Alqama et, après de longues minutes, ce dernier rendit son dernier souffle, accueilli par une noble cohorte, sous les pleurs discrets de son épouse.

Dès que le Messager de Dieu (saw) apprit la mort de ‘Alqama, il vint à son chevet. Il pria pour lui longuement, puis il ordonna aux membres de sa famille de le laver. Quand cela fut fait, on amena le corps au Prophète qui pria sur lui, avec ses compagnons, puis ils l’emmenèrent dans sa dernière demeure à al-Baqî’.

Le Prophète était soulagé que ‘Alqama puisse être ainsi délivré de ses tourments à cause de son manque de piété filiale, mais il fallait que les musulmans le comprennent bien. Alors, après avoir fini d’enterrer ‘Alqama, il se tourna vers les Compagnons et dit :

Ecoutez-moi bien, vous les muhâjirun et vous les ansâr ! quiconque favorise son épouse au détriment de sa propre mère encourra la malédiction de Dieu, de Ses anges ainsi que de l’humanité tout entière.
Dieu n’a que faire de votre générosité envers les pauvres, de vos actes pieux et de votre droiture tant que vous ne vous repentirez pas à Dieu de manque de piété filiale et que vous ne vous réconcilier pas avec votre mère, en cherchant à l’honorer et lui faire plaisir. Car le plaisir de Dieu s’assimile à faire plaisir à votre mère, et la colère de Dieu s’assimile à la colère que vous provoqua chez votre mère.

Les Compagnons écoutèrent avec gravité les propos du Messager de Dieu. Certes ils avaient conscience de l’importance des parents, ils savaient que le manque de piété filiale était un péché grave, mais là, ils eurent la manifestation de l’ampleur d’un tel péché. Si sa mère ne lui avait pas pardonné, ‘Alqama n’aurait pu mourir dans la foi de Dieu, malgré ses années d’adoration. C’est ainsi que ce jour-là, après les funérailles de ‘Alqama, des femmes et des hommes parmi les musulmans se rendirent auprès de leurs parents et se jurèrent de les satisfaire autant que faire se peut, de les honorer et de leur donner tout le respect qu’ils méritaient. N’avaient-ils pas pas donné leur vie pour celle de leurs enfants ? Pourquoi ne pas leur montrer de dans ce cas… Oui, le Messager de Dieu (saw) l’avait bien dit :
« Le Paradis se trouve sous le pied de vos mères »,
et ‘Alqama venait d’entrevoir la réalité de cette parole, car ce fut sa mère qui le délivra du châtiment qu’il faillit subir. ..

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