Les Récits de la Tradition

L’invocation exaucée

(Ibn Al-Jawzi, Jami’al-Asanid bi Akhlas al-Asanid)

Qui ne connait pas l’imam Ahmad Ibn Hanbal ? L’un des plus grands savants de l’islam, un homme qui a connu la persécution du pouvoir en place et qui, aux yeux des femmes et des hommes de son époque, était non seulement le plus grand savant qui soit, mais un mujâhid, un combattant sur la voix de Dieu. Les gens venaient en masse des quatre coins du monde pour pouvoir recevoir son enseignement. Aucun musulman n’était plus connu ni plus admiré que lui à son époque, si bien que l’imam adh-Dhahâbî dit qu’à sa mort plus d’un million trois cent mille personnes vinrent l’honorer et l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure.Pourtant, même un homme tel que l’imam Ahmad recevait des leçons desquelles il tirait des enseignements précieux, et cette histoire est sans doute l’une des plus grandes et des plus belles leçons qu’il tira de sa vie.

Un jour, alors qu’il était en voyage vers le Shâm, l’imam Ahmad décida de s’arrêter dans une mosquée pour prier et se reposer. Cette fois, il avait voyagé seul et le parcours avait été éprouvant. Il alla donc poser ses affaires, puis il sortit se rafraîchir un peu et faire ses ablutions. À l’heure de la prière du ‘ishâ’, il pria avec les autres hommes de la cité. Il appréciait ces moments de quiétude, car ici, même si sa renommée avait traversé tout l’Empire musulman, personne ne savait à quoi il ressemblait, et il pouvait rester là, dans l’anonymat, en paix, dans l’intimité de cette mosquée. Il se dit alors qu’il y passerait bien la nuit, car il était bien trop tard pour trouver un endroit où se loger. Ainsi, il étala sa couverture dans un coin isolé, afin de ne déranger personne et il s’apprêta à dormir, quand un homme arriva et lui dit :
– Tu dois partir, tu ne peux pas rester ici !

L’imam Ahmad regarda l’homme qui semblait être le gardien de la mosquée et lui répondit :
– Mais je suis un voyageur qui vient de loin, il est bien tard et je n’ai nulle part où aller…
Mais le gardien de la mosquée ne voulut rien savoir. Sèchement, il dit :
– Je ne veux pas le savoir ! Tu n’as rien à faire ici ! Tu dois sortir de la mosquée !

L’imam Ahmad aurait pu se contenter de dire qui il était et immédiatement il aurait été reçu dans la plus belle demeure de la cité, mais ce n’était pas dans les habitudes de l’imam qui n’était que simplicité et humilité. Sans dire un mot, il ramassa donc ses affaires et sortit. Arrivé à l’entrée de la mosquée, il s’assit sur les marches, en se disant qu’il ne pouvait plus se permettre de déranger qui que ce soit à cette heure. Alors il décida de s’asseoir sur les marches de la mosquée et d’attendre
l’heure de la prière du matin.

Mais c’était sans compter le gardien de la mosquée. Quand ce dernier vit l’imam Ahmad assis sur les marches, il se mit vraiment en colère et dit :
– Je t’ai dit de partir d’ici !

L’imam Ahmad tenta de l’amadouer :
– Mais je ne sais vraiment pas où aller et il est trop tard pour chercher un endroit où dormir !

Le gardien en avait plus qu’assez de cet homme qu’il pensait être un mendiant alors, au lieu d’en écouter davantage, il le prit par les pieds et le traîna jusque dans la rue ! L’imam Ahmad se releva, tout endolori, et bien décidé à ne pas chercher querelle à cet homme imposant. Il calma donc le gardien et promit de ne pas rester. Puis il tourna les talons, en se demandant quelle direction prendre…

De l’autre côté de la rue, un boulanger avait assisté à toute la scène. Il eut mal au cœur pour cet étranger qui semblait perdu et bien fatigué. Alors il l’appela et lui dit :
– Si tu le souhaites, tu peux rester dans ma boulangerie cette nuit.

l’imam Ahmad remercia Dieu en son cœur de lui faciliter ainsi les choses et il accepta volontiers l’offre du boulanger. Il se dirigea donc vers lui et le salua puis les deux hommes entrèrent dans la boulangerie. La pièce était petite, avec les sacs de farine qui s’amoncelaient et l’immense four à pain, mais le boulanger trouva une petite place à l’imam Ahmad et lui dit :
– J’ai du travail à faire, mais tu peux dormir ici, tu y seras très bien.

Reconnaissant et heureux, l’imam Ahmad installa sa couverture et s’allongea, de façon à ne pas déranger son hôte. Il pensait qu’il allait s’endormir très vite, étant donné la fatigue du voyage, mais, au lieu de cela, l’imam Ahmad se surprit à observer le boulanger. Il le regarda mélanger la farine à l’eau et au levain, pétrir la pâte, former les boules de pâte pour la faire lever puis enfourner le tout. Les gestes étaient précis, avec l’évident souci du travail bien fait, mais ce qui impressionnait l’imam Ahmad, c’est que l’homme, pendant qu’il travaillait, ne cessait de dire : Subbân Allâh, al-hamdu li-llâh, La ilaha illa Allah, Allâhu Akbar…

À chaque étape de son travail, sans jamais s’arrêter, le boulanger invoquait Dieu. Tout en pétrissant la pâte, ses lèvres remuaient dans cette répétition continue. Et la nuit entière, le boulanger répéta les mêmes paroles… L’imam Ahmad était impressionné, jamais il n’avait vu un homme invoquer Dieu si longtemps. N’importe qui se serait lassé à un moment ou à un autre ou, du moins, il aurait fait une pause dans son rappel, mais le boulanger ne cessa jamais d’abreuver son cœur du rappel de Dieu.

Au bout de plusieurs heures, l’imam Ahmad se leva et s’approcha de lui. Il lui demanda alors :
– Cela fait combien de temps que tu fais cela ?
– Que je fais quoi- ?, interrogea le boulanger.

– Que tu te consacres ainsi au rappel de Dieu.

Le boulanger lui répondit sans le regarder, concentré à sa tâche, mais avec un sourire aux lèvres :
– Je n’ai jamais cessé. J’ai fait cela ma vie entière.

L’imam Ahmad aurait eu peine à le croire s’il n’avait pas décelé la sincérité chez cet homme. Il devait sans nul doute avoir un lien privilégié avec son Seigneur. Alors il osa une autre question :
– As-tu reçu de la part de Dieu quelque résultat de tout ce rappel ?

Et le boulanger daigna cette fois détacher son regard de son ouvrage pour le fixer et lui répondre :
– Oui, effectivement.
– Et quel résultat as-tu reçu ?
– Jamais je n’ai demandé une chose à Dieu sans qu’Il me la donne.

L’imam Ahmad resta bouche bée. Puis, après un silence, il demanda :
– Subhan-Allâh ! Toutes tes prières sont-elles toujours acceptées ?

Le boulanger cette fois enleva ses mains de la pâte, et il répondit :
– Oui, jamais je n’ai demandé une chose à Dieu sans qu’Il me l’accorde… Si ce n’est une chose, mais je sais que Dieu me l’accordera un jour ou l’autre.

L’imam Ahmad demanda alors :
– Et quelle est cette chose ?
Le boulanger lui sourit, un peu comme s’il se surprenait à rêver et dit, sur le ton de la confidence :
– C’est de pouvoir rencontrer l’imam Ahmad Ibn Hanbal au moins une fois dans ma vie.

À ces mots, l’imam Ahmad faillit tomber. L’émotion fut telle qu’il se mit à pleurer comme un enfant. Il prit le boulanger dans ses bras et lui embrassa le front en lui disant :
– Subhan-Allâh! Tu es certes un proche de Dieu et Dieu entend toutes tes prières. Sais-tu qui je suis ?

Étonné par une telle réaction, et n’ayant pas encore saisi, le boulanger répondit que non. Et l’imam Ahmad de répondre :

– Je suis Ahmad Ibn Hanbal et Allah m’a traîné par les pieds jusqu’à toi… Si ça n’avait pas été pour toi, Allah m’aurait certes laissé dormir dans la mosquée. Mais Il a tenu à satisfaire à ta demande.

Le boulanger était bouleversé de rencontrer le savant pour lequel il avait tant de respect et d’admiration, mais surtout de voir combien Dieu avait exaucé jusqu’à la dernière de ses demandes. Il remercia Dieu longuement et passa le reste de la nuit avec son invité si spécial, sous le regard bienveillant de son Seigneur…

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