Les Récits de la Tradition

La Coiffeuse de la Fille de Pharaon

(D’après un Hadith rapporté par Al-Bayhaqi)

Il y a bien longtemps, en Egypte, régnait un homme qui avait le titre de Pharaon. Comme beaucoup de ses prédécesseurs, Pharaon se prenait pour un dieu et imposait à son peuple de le servir et de l’adorer. Si la plupart des gens obéissaient de peur de représailles, certaines personnes refusaient d’accepter cela et s’étaient attachées à la religion du prophète que Dieu avait envoyé à cette époque et à cette contrée. Parmi elles, il y avait une femme très pieuse, ainsi que son époux. Tous deux côtoyaient le palais de Pharaon, car lui était un proche de la cour et elle était au service de la fille de Pharaon, et s’occupait d’elle, un peu comme une nourrice.

Malheureusement, les soupçons pesèrent sur l’époux de cette noble femme et quand Pharaon apprit qu’il avait embrassé une autre religion que la sienne, et qu’il avait pris un autre dieu que lui, il décida de le tuer. La femme se retrouva veuve, et, par peur de voir ses enfants totalement orphelins, elle décida de garder sa foi secrète. La pauvre avait cinq enfants à nourrir et elle devait donc travailler pour eux ; elle préféra donc garder le silence sur ce que son cœur renfermait. Pourtant sa foi était ferme, et sa conviction profonde. Jamais elle n’aurait été prête à renoncer à son amour pour Dieu car elle savait qu’elle pouvait tout endurer tant que Dieu l’aimait. Un jour, alors qu’elle coiffait la fille de Pharaon, le peigne lui tomba des mains et elle s’écria spontanément :

Bismillâh (au nom de Dieu) !

En entendant cela, la fille fut étonnée, elle se dit qu’elle avait dû mal comprendre. Elle demanda :

De quel dieu parles-tu ? Tu voulais parler de mon père, c’est bien ça ?

Le cœur de la noble femme se mit à battre à la chamade. Elle y avait beaucoup pensé, mais il était là. Oui, l’instant de défendre sa foi était venu. Pour elle, il était hors de question de mentir, alors, malgré la peur qui la tenaillait, d’un ton ferme, elle répondit :

Non ! Pas ton père ! Je veux dire Allah, mon Seigneur qui est aussi ton Seigneur et Celui de ton père !

La fille s’étonna, elle qui avait toujours vécu dans l’enceinte du palais n’imaginait même pas qu’il était possible d’adorer une autre divinité que son père. En fille capricieuse et cynique qu’elle était, et pour éprouver la détermination de sa servante, elle lui demanda alors si elle était prête à répéter ces paroles devant son père. Malgré les sentiments contradictoires qui l’animaient, la coiffeuse ne se démonta pas ; elle accepta de le faire, convaincue qu’elle était dans la vérité, et que Dieu était son Meilleur soutien. Elle avait si peur pour sa vie et pour celle de ses enfants, mais malgré cela, elle resta convaincue que seul Dieu était Maître de sa destinée.

C’est ainsi qu’elle fut présentée à Pharaon. Escortée par les gardes, elle pénétra dans la grande pièce du palais. Tout était impressionnant, son trône, le cérémonial autour de la personne royale, la cour qui tout entière la fixait…

Pharaon regarda la pauvre femme avec mépris et orgueil. Comment une simple servante pouvait-elle venir le défier dans son propre palais ? En la toisant avec dédain, il lui demanda s’il était vrai qu’elle adorait un autre seigneur que lui. La femme était consciente que le temps était venu de prouver son attachement à Dieu ; elle allait, comme son époux, révéler au monde qui l’entourait sa foi véritable. Certes elle avait peur, mais elle ne pouvait pas reculer ni mentir sur ce que son cœur contenait réellement. Alors elle se donna une contenance, malgré la peur qu’elle ressentait, et répondit :

Oui, Pharaon, tu n’es qu’un homme et le Dieu que j’adore n’est ni de chair ni de sang. C’est le Créateur de toute chose, l’Unique à qui j’ai consacré ma vie. Il est mon Seigneur et le Tien, ne t’en déplaise ! Je te conseille donc de te soumettre à Lui et de suivre la voie des justes.

Pharaon n’en crut pas ses oreilles ! C’était bien la première fois qu’on venait le défier ainsi ! Fou de colère, il essaya cependant de se maîtriser et de faire preuve de grandeur en promettant à la coiffeuse de ne pas trop la faire souffrir si elle daignait revenir sur ses propos. Mais celle-ci resta ferme sur ses convictions. Pharaon était décontenancé. Il était hors de question qu’une femme puisse le défier ainsi et remettre en question l’ordre que lui et ses prédécesseurs avaient établi. Alors la colère finit par avoir raison de lui et il se mit à hurler à ses soldats :

Emparez-vous de cette insensée et jetez-la dans mes geôles ! Usez de tous les moyens pour la faire revenir sur ses propos. Espèce de stupide servante, tu reviendras à moi soumise où tu mourras !

Des jours durant, les hommes de Pharaon s’acharnèrent sur cette croyante et lui firent subir les pires tortures qui soient mais Dieu avait affermi le cœur de Sa servante, et jamais elle ne céda. Quand les soldats vinrent lui rapporter cela, Pharaon devint comme fou :

Comment ?! Elle n’a pas recouvré la raison ?! Augmentez son châtiment ! De gré ou de force elle me suppliera de l’épargner, cria-t-il.

Mais la pieuse dame résista ; son amour pour Dieu était sans failles. Alors, excédé de tant de conviction, Pharaon poussa son mal à l’extrême et finit par la convoquer à nouveau. Il fit ordonner à ses hommes de faire bouillir de l’huile dans une grande marmite qu’il fit mettre devant elle. La scène était horrible, l’odeur insoutenable et les cris avides des gens voulant sa mort assourdissant !

Notre noble femme était terrifiée de voir le châtiment que l’on se préparait à lui infliger, mais elle sentait au fond de son cœur la chaleur de la foi, la force de la conviction et la lumière de l’amour divin. Un instant la foule se tut et la coiffeuse put entendre son cœur battre comme jamais il n’avait battu. Comme une inspiration, elle comprit alors qu’il était temps pour elle de rencontrer son Seigneur.

Mais Pharaon était si cruel qu’il voulait pousser la perversité à son summum. Il avait décidé de la torturer aussi bien physiquement que moralement, et pour ce faire, quoi de mieux que de s’en prendre à la progéniture de cette femme. Il avait secrètement commandé à ses soldats de faire venir ses cinq enfants. Quand tout fut prêt pour réaliser son plan diabolique, les soldats amenèrent les cinq enfants apeurés. Comme la situation était insoutenable pour notre héroïne…

Ses enfants étaient la seule source de joie qu’elle possédait dans cette vie et ils étaient là, en train de marcher vers leur destin, les uns derrière les autres. Ils ne savaient rien de ce qui les attendait. Impressionnés et apeurés, ils regardaient tout autour d’eux sans trop comprendre ce qu’il se passait. Quand ils virent leur mère, ils coururent se blottir contre elle. Elle les rassembla dans ses bras et commença à les embrasser un à un. Elle prit ensuite le plus petit, son bébé et lui donna instinctivement le sein.

Et là, Pharaon ordonna l’un de ses pires crimes. Il demanda à ses soldats de se saisir de l’aîné et de le plonger dans l’huile bouillante. Les soldats le prirent, alors que le garçon se débattait et suppliait, en vain. Il fut jeté dans l’huile sous le regard de sa mère et de ses frères. Son corps disparut dans ce bouillon, seuls ses os émergèrent à la surface.

Pharaon se tourna alors vers la mère et l’interrogea :

Qui est ton dieu maintenant ?

Notre héroïne était effondrée. Son enfant venait de mourir ! Mais comment renier Celui qui l’avait créée elle, ainsi que ses enfants ? Malgré la douleur insoutenable, elle l’avait compris : Dieu lui avait donné ses enfants et désormais Il S’apprêtait à les reprendre les uns après les autres. Alors, acceptant cette lourde destinée, et malgré la douleur qui envahissait son coeur de mère, elle répondit :

Mon dieu est Dieu l’Unique. C’est Allah le Très-Haut !

Tel un animal enragé, Pharaon s’attaqua alors à son deuxième enfant. Les soldats l’enlevèrent des bras de sa mère et le jetèrent dans l’huile bouillante, sans aucun scrupule. La mère était dévastée, ses petits lui étaient arrachés un à un, dans des cris et des pleurs insoutenables, et sans cesse la même question : « Qui est ton dieu maintenant ? ».

Devait-elle renoncer à la vérité pour sauver la vie de ses enfants ? Il est sûr qu’à chaque fois, elle semblait faillir un peu plus, mais on aurait dit qu’une force invisible l’aidait à tenir debout et à affronter le pire cauchemar d’une mère…

Un souffle semblait animer son cœur et le remplir de conviction à chaque fois qu’on arrachait les petites mains de ses enfants de sa robe. Ainsi, le troisième fut saisi et jeté dans l’huile bouillante sous ses yeux désemparés. Elle en appelait à Dieu, à son Seigneur, qui, elle le savait, avait un plan bien précis derrière cette si lourde épreuve.

Mais voir son quatrième enfant mourir fut insoutenable. Il était encore si petit et ses cris se mêlaient aux prières de sa mère. Les soldats durent le tirer très fort pour le détacher des bras de sa mère qui le tenait fermement, lui ainsi que son nourrisson. Elle voulait le garder, le sentir encore un peu. Mais la force des soldats eut raison d’elle. Ils s’emparèrent du petit enfant et le jetèrent dans ce bain bouillant, sous le regard d’une femme qui semblait avoir perdu toute vie. Les larmes coulaient sans cesse, mais elle ne criait plus, comme si elle n’avait plus de force en elle pour le faire. Seules ses lèvres remuaient, au rythme des prières qu’elle adressait à Dieu.

Pendant un moment, elle s’était laissé emporter par ses souvenirs. Elle n’avait plus dans son esprit que l’image de ses enfants, les moments passés ensemble, les nuits passées à leur chevet, leurs jouets, leurs premiers mots, leurs si beaux sourires… Comment avait-on pu lui ôter tout cela ?

Elle était perdue dans ses pensées quand les soldats vinrent vers elle. Son esprit revint soudainement à la cruelle réalité. Ils avaient posé la main sur son bras pour s’emparer d’elle et de son bébé. C’était son tour, elle allait rencontrer enfin son Seigneur, retrouver son époux et ses enfants et elle en était heureuse… Elle regarda son bébé, dans ses bras qui tétait son sein, et là, elle ressentit une peur terrible pour cette petite chose sans défense. Qu’elle meure était une chose, mais pourquoi son bébé devait-il subir une telle souffrance ? Elle eut un geste de recul, inspiré par son instinct maternel mais là, l’incroyable se produisit. Son bébé lâcha le sein de sa mère pour plonger son regard dans le sien et dire :

Mère ! Endure cette épreuve, car tu es dans la Voie de la vérité !

Personne n’en crut ses oreilles ! Un nourrisson âgé d’à peine quelques mois venait de parler ! Pharaon, les soldats, les hommes de la cour étaient sous le choc. Alors que tous étaient apeurés par ce qui venait de se passer, la mère, elle, trouva alors une conviction nouvelle.

Alors que le monde autour d’elle se demandait comment une telle chose était possible, elle comprit le message que Dieu venait de lui envoyer à travers ce miracle. Alors elle se tourna vers Pharaon et lui dit avec un aplomb déconcertant :

J’ai une dernière requête à faire !

Pharaon, lui, avait perdu toute assurance… Mais il se donna une contenance et lui répondit :

Quelle est-elle ?

Je voudrais, dit-elle, que mes os et ceux de mes enfants soient rassemblés et enterrés ensemble.

Pharaon acquiesça d’un geste de la tête, avec toute l’arrogance qu’on lui connaissait. La femme regarda alors à nouveau son bébé, elle l’embrassa sur le front une dernière fois, le serra un peu plus contre elle puis, sans même que les soldats aient à agir, elle se jeta dans l’huile bouillante, rejoignant ses autres enfants au Paradis.

Cette histoire, c’est le Prophète Muhammad (saw) lui-même qui l’a racontée. Il dit que lorsqu’il était monté aux cieux durant le voyage nocturne, il avait senti un parfum tel qu’il n’en avait jamais senti de semblable auparavant. Il demanda alors à l’ange Jibrîl :

Quel est ce délicieux parfum ?                                               

Et l’ange de lui répondre :

C’est l’odeur qui émane de la noble coiffeuse de la fille de Pharaon.

Dieu avait récompensé cette grande croyante à la hauteur de son sacrifice, au point que le Prophète lui-même fut enivré des émanations de son odeur et que sa force et sa foi sont encore évoquées bien des siècles plus tard.

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