Jour 25 : Le Coran à l’époque de `Uthman
L’expansion des conquêtes
Les raisons de la compilation du mushaf par `Uthman
Le hadîth d’Al-Bukhârî
Commentaires sur ce hadîth
La commission du mushaf
Le nom des scribes de la recension `uthmanienne
L’expansion des conquêtes
Les conquêtes s’étendirent pendant le califat de `Uthman (ra). Ce dernier autorisa les Compagnons à s’installer dans les diverses contrées musulmanes, chose que `Umar leur avait interdite leur demandant de rester auprès de lui à Médine. Ainsi les habitants de chaque contrée s’instruisirent-ils auprès d’un maître-récitateur :
– Les habitants de la Syrie et de Hims s’instruisirent auprès d’Al-Miqdâd Ibn Al-Aswad.
– Les habitants de Kûfah s’instruisirent auprès d’Ibn Massoud.
– Ceux de Basora auprès d’Abû Musâ Al-Ash`arî – dont ils appelaient le mushaf (mushaf désigne en arabe une collection solidaire de parchemins, suhuf. Par extension, il désigne dans la terminologie islamique le Coran en tant que livre concret. Dans nos articles, nous le traduisons parfois par codex.) lubâb al-qulûb (la pulpe des cœurs.)
– Et de nombreux habitants de la Syrie récitèrent à la façon de Ubayy Ibn Ka`b.
Ils avaient alors diverses manières de réciter le Coran selon les différents modes dans lesquels il avait été révélé. Les gens différèrent alors dans la récitation et leurs divergences grandirent au point que l’un dise à son compagnon : « Ma récitation est meilleure que la tienne. » La discorde n’était pas loin : « Ils divergèrent et se disputèrent, les uns reniant les autres, les désavouant et les damnant. »
Al-Hâfidh Ibn Hajjar rapporte : « En Irak, lorsque certaines personnes entendaient une récitation différente de la leur disaient : « Je renie celle-là. » et ceci se répandit si bien qu’on en référa à `Uthman. »
Les raisons de la compilation du mushaf par `Uthman
Diverses narrations exposent les raisons qui poussèrent `Uthman à compiler le mushaf :
– Certaines narrations indiquent que `Uthman prit cette décision en voyant les divergences entre les instituteurs du Coran et leur sectarisme pour la récitation qu’ils avaient apprise et leur désapprobation des autres formes.
Ainsi, Ibn Abi Daoud rapporte dans Al-Masâhif qu’après l’avènement du califat de `Uthman, tel instituteur enseignait la récitation de tel maître et tel autre instituteur enseignait la récitation de tel autre maître, si bien que les enfants se rencontraient et se disputaient. L’affaire arriva au niveau des musulmans qui commencèrent à s’anathémiser mutuellement. Lorsque `Uthman fut informé de la situation, il dit dans un sermon : « Si, à mes côtés, vous divergez, alors a fortiori les habitants des autres contrées divergent encore plus. »
– Certaines narrations indiquent que le Coran fut compilé sur le conseil de Hudhayfa Ibn Al-Yamân lorsqu’il vit le désaccord des gens en Irak.
Selon une narration, Hudhayfa fut témoin de ce sectarisme dans la Mosquée de Kûfah, une province de l’Irak.
Ibn Abi Daoud rapporte que, de passage dans l’une des mosquées de Kûfah, du temps du gouvernorat d’Al-Walîd Ibn `Uqbah Ibn Abî Mu`ayt, Hudhayfa entendit un homme parler de la récitation d’Ibn Massoud et un autre parler de celle d’Abû Musa. Il se leva alors et donna un prêche : « C’est de cette manière que les nations passées ont divergé. Par Allah, je m’en vais voir le Prince des Croyants. »
Al-Hâfidh Ibn Hajjar rapporte dans une narration que `Uthman dit : « Vous doutez du Coran et dîtes : « la récitation de Ubayy, la récitation de `Abdullah », et d’autres disent à autrui : « Par Allâh, nous ne considérons pas ta récitation. » »
– D’autres narrations encore indiquent que la raison de la compilation est la rencontre de groupes de différentes contrées à l’occasion des conquêtes et du jihad et leur découverte de diverses récitations, leur étonnement à leur sujet et leur désapprobation des variations des styles de récitation du Coran, l’étonnement se transformant en suspicion, puis en accusation et en dispute. La nouvelle arriva à `Uthman qui décida alors de compiler le Coran.
Comme on peut le constater, la multiplicité des narrations à propos de la compilation n’induit pas de contradiction. En effet, toutes ces narrations se rejoignent sur la présence d’éléments nouveaux dans la société musulmane qui poussèrent `Uthman à compiler le Coran.
Il est possible que les divergences se soient manifestées à Médine devant `Uthman, et en Irak et à Kûfah devant Hudhayfa et que ce dernier en ait également été témoin lors de sa participation à la campagne d’Arménie et décida alors de porter l’affaire à `Uthman. Il y a d’autres raisons qui ne sont pas mentionnées explicitement dans les narrations mais que l’on peut déduire des données que nous avons. Par exemple, on peut citer l’ignorance des nouveaux musulmans de tout ce qui touche aux sept modes (Al-Ahruf As-Sab`ah : les sept modes de récitation) ; en effet, même en ayant connaissance du hadîth stipulant que le Coran fut révélé dans ces sept modes, ils ignorent quels sont les lectionnaires (les récitations) corrects auxquels ils peuvent se référer en cas de divergence.
Par conséquent, `Uthman décida de réunir les gens autour d’un codex unique conforme à la langue de Quraysh, la langue de la révélation du Coran, pour unir les musulmans, conjurer la discorde, pour défendre l’intérêt général, et rassembler les gens autour d’un livre unique servant de base pour leur religion et d’axe pour leur vie. Leur rassemblement autour de lui est un rassemblement autour d’une anse solide et sur un fondement inébranlable.
Quand, de surcroît, nous apprenons que les divergences avaient lieu sur les fronts des conquêtes militaires et de la lutte armée, là où les épées sont brandies er les lames apprêtées, on réalise la dangerosité de la désunion pour la Ummah et l’intérêt de la réunir autour d’un codex unique.
Le hadîth d’Al-Bukhârî
Al-Boukhâri rapporte dans son Sahih selon une chaîne de transmission remontant à Ibn Shihâb que Anas Ibn Malik lui dit que Hudhayfa Ibn Al-Yamân, en provenance du front d’Arménie et d’Azerbaïdjan où il combattait avec les troupes d’Irak, inquiété par leurs différends à propos de la récitation, alla voir `Uthman et lui dit :
« Ô Prince des Croyants ! Fais quelque chose avant que cette Ummah ne se divise au sujet du Livre comme les juifs et les chrétiens ! »
`Uthman envoya un émissaire à Hafsa avec pour message : « Envoie-nous les parchemins afin que nous les recopiions dans les codex, puis ils te seront restitués. »
Hafsa envoya les parchemins à `Uthman qui ordonna à Zayd Ibn Thâbit, `Abdullah Ibn Az-Zubayr, Sa`îd Ibn Al-`Âs et `Abd Ar-Rahmân Ibn Al-Hârith Ibn Hishâm de les recopier dans les codex. Il dit aux trois qurayshites : « Si vous divergez avec Zayd Ibn Thâbit sur quelque chose dans le Coran, inscrivez-le selon la langue de Quraysh car il a été révélé dans cette langue. » Lorsqu’ils eurent achevé la copie des parchemins dans les codex, `Uthman restitua les parchemins à Hafsa et envoya dans chacune des grandes régions l’un des codex ainsi copiés et ordonna que soit brûlé tout autre support du Coran que ce soit un parchemin ou un codex. »
Commentaires sur ce hadîth
Celui qui examine ce hadîth et les textes qui en traitent atteint les conclusions suivantes :
– `Uthman prit l’initiative de compiler le codex sur le conseil de Hudhayfa Ibn Al-Yamân. Les autres narrations indiquent que `Uthman le compila lorsqu’il constata la divergence des récitateurs à Médine. Il pensa alors que les divergences étaient probablement plus fortes dans les autres contrées musulmanes. La venue de Hudhayfa confirma ses soupçons et, par conséquent, il ordonna la compilation du Coran.
– La compilation du temps de `Uthman se basa sur la compilation précédente du temps d’Abû Bakr. Cette dernière avait bénéficié de l’attention des Compagnons et de leur approbation ; elle avait bénéficié de nombreux efforts et fut réalisée sous la direction de Zayd Ibn Thâbit, le scribe de la révélation (du temps du Prophète). La compilation précédente eut lieu peu de temps après le décès du Messager (saw) alors que le Coran était encore frais et se récitait partout. Al-Qurtubî relate que Zayd compila le Coran du temps d’Abû Bakr sans ordonner ses sourates et avec beaucoup de peine ; les parchemins ainsi compilés furent conservés chez Abû Bakr puis chez `Umar, puis chez Hafsah.
– `Uthman fit brûler un certain nombre de codex individuels que certains compagnons avaient écrits pour eux-mêmes et qui constituaient des codex privés. Ils différaient entre eux par l’ordre des sourates et selon certains lectionnaires. Les plus connus d’entre eux sont le codex de `Ali, celui de Ubayy Ibn Ka`b, celui de `Abdullah Ibn Massoud et celui d’Abû Musa Al-Ash`arî. La diffusion de ses codex individuels conduisit à la désunion et à la divergence.
– Certains orientalistes tentèrent de nier le sérieux et la concordance du codex de `Uthman prétendant que ce dernier le compila pour un intérêt personnel, précisément pour avoir un codex privé à l’instar de tous les compagnons. Mais ceci est un mensonge visant à attaquer le codex maître (Al-Mushaf Al-Imâm) et à nier ses qualités de concordance, d’authenticité certaine et le fait qu’il est le fruit de nombreux efforts.
– L’inscription du codex à l’époque de `Uthman se fit selon la langue de Quraysh, la langue dans laquelle le Coran fut révélé, celle de la majorité des musulmans, celle de la poésie et de la littérature, la langue officielle de l’État. A l’aube de l’islam, il était permis de réciter le Coran dans divers dialectes arabes par facilité. Mais lorsque les arabes s’habituèrent à la récitation, que la restriction à un seul mode était devenue chose facile et davantage dans leur intérêt, ils se réunirent autour d’un seul mode, celui de la Dernière Exposition.
– Le public agréa l’œuvre de `Uthman et l’approuva, convaincu par l’effort qu’il y dépensa et persuadé de la réalisation de l’intérêt de la Ummah en termes d’unité et de cohésion. L’Imâm `Ali (ra) dit : « Ne dîtes que du bien au sujet de `Uthman. Par Allah, tout ce qu’il fit était au vu et au su de chacun d’entre nous. » Il dit également : « Si j’étais calife, j’aurais pris la même initiative que `Uthman vis-à-vis du codex. »
`Abd Ar-Rahmân Ibn Mahdî dit : « Deux choses distinguent `Uthman par rapport à Abû Bakr et `Omar : sa patience face aux épreuves jusqu’à être assassiné injustement et le fait d’avoir rassemblé les musulmans autour du codex. »
`Abdullâh Ibn Mas`ûd commença par objecter à cette initiative, puis son objection cessa lorsqu’il vit le codex de `Uthman.
La commission du mushaf
Les récits ne sont pas unanimes quant au nombre de mémorisateurs auxquels `Uthman (ra) confia l’inscription du codex. Certains indiquent qu’il la confia à Zayd Ibn Thâbit. La narration rapportée par Al-Boukhâri indique que la commission comportait quatre personnes. La tradition rapportée par Ibn Abi Daoud indique que la commission était composée de douze membres. On comprend de l’ensemble de ces traditions que Zayd Ibn Thâbit était le président de la commission et que `Uthman lui associa quatre parmi les meilleurs Compagnons et les mémorisateurs les plus sûrs. Il est également possible que `Uthman ait appuyé la commission par un groupe supplémentaire de Compagnons pour les aider dans la copie des codex envoyés par la suite dans les diverses contrées.
Ainsi ceux qui attribuent l’inscription du codex à Zayd Ibn Thâbit prennent en considération le fait qu’il était le président de la commission. Ceux qui disent que la commission comportait quatre membres font référence à la commission initialement chargée de l’inscription du codex maître. Ceux qui portent ce nombre à douze incluent les auxiliaires que `Uthman appela en renfort pour la copie des codex envoyés dans les différentes contrées musulmanes.
Le nom des scribes de la recension `uthmanienne
Al-Boukhâri mentionne quatre personnes :
- Zayd Ibn Thâbit,
- `Abdullah Ibn Az-Zubayr,
- Sa`îd Ibn Al-`Âs,
- `Abd Ar-Rahmân Ibn Al-Hârith Ibn Hishâm.
Seul le président de la commission était ansârite (originaire de Médine) tandis que les trois autres membres étaient qurayshites.
Nous avons vu précédemment que `Uthman dit aux trois qurayshites : « Si vous divergez avec Zayd Ibn Thâbit sur quelque chose dans le Coran, inscrivez-le selon la langue de Quraysh car il a été révélé dans cette langue. » On entend par langue ici la graphie de Quraysh.
D’autres traditionnistes hormis Al-Bukhârî avancèrent le nombre de six :
- `Abdullah Ibn `Amr Ibn Al-`Âs,
- `Abdullah Ibn `Abbâs,
- Ubayy Ibn Ka`b,
- Malik Ibn Abî `Âmir
- Kathîr Ibn Aflah,
- Anas Ibn Mâlik.
Ibn Abi Daoud, quant à lui, dit que la commission était composée de douze membres, mais Al-Hâfidh Ibn Hajjar ne mentionna que neuf noms parmi les douze omettant `Abdullah Ibn `Amr Ibn Al-`Âs, lequel fut mentionné par As-Suyûtî dans Al-Itqân.
Par conséquent, seuls dix scribes du codex nous sont connus. Nous n’avons pu retrouver les deux noms restants, lesquels ont également échappé à Al-Hâfidh Ibn Hajjar. Dès lors qu’un érudit comme Ibn Hajjar n’a pu trouver un nom, il est de fait extrêmement difficile de le trouver et c’est pourquoi nous considérerons que la commission était composée de dix personnes.
Il est clair que cette commission était constituée à 50% de qurayshites : `Abdullah Ibn Az-Zubayr, Sa`îd Ibn Al-`Âs, `Abd Ar-Rahmân Ibn Al-Hârith Ibn Hishâm, `Abdullah Ibn `Amr Ibn Al-`Âs et `Abdullâh Ibn `Abbâs, et à 50% de non-qurayshites, dont quatre ansârites : Zayd Ibn Thâbit, Ubayy Ibn Ka`b, Anas Ibn Mâlik et Kathîr Ibn Aflah, l’affranchi d’Abû Ayyûb Al-Ansârî – l’affranchi d’un clan étant compté parmi eux. Le cinquième était Malik Ibn Abî `Âmir – le grand-père de Anas Ibn Malik – qui était un himyarite du Yémen.
Ainsi veilla-t-on dans la composition de cette commission qu’elle soit qurayshite pour une moitié et ansârites pour l’autre moitié approximativement, avec un membre du Yémen.
Il est clair d’après la composition de la commission qu’elle était constituée d’Arabes authentiques (Ce détail a son importance en ce qui concerne la pureté de leur langue) exception faite de Kathîr Ibn Aflah, l’affranchi d’Abû Ayyûb Al-Ansârî, sachant que les affranchis étaient nombreux parmi les Compagnons.
Il est donc probable que `Uthman (ra) ait veillé à ce que soient représentés les Muhâjirun (les immigrés mecquois arrivés à Médine lors de l’hégire.), les Ansars (les ansârites, les musulmans originaires de Médine qui accueillirent le Prophète et ses disciples lors de l’hégire) et le Yémen d’une part, et les affranchis d’autre part. Tout comme il veilla à bien choisir les membres et que soit représenté l’ensemble de la communauté musulmane, il veilla à ce que la commission regroupe des membres jeunes et des seniors. Les jeunes gens représentent la force, la santé et le dynamisme, tandis que les seniors sont choisis pour leur expérience, leur expertise et leur maturité.
Parmi les jeunes membres, il y avait : Zayd Ibn Thâbit, Sa`îd Ibn Al-`Âs, `Abd Ar-Rahmân Ibn Al-Hârith Ibn Hishâm et Anas Ibn Mâlik.
Les membres seniors étaient : `Abdullâh Ibn `Amr Ibn Al-`Âs, Ubayy Ibn Ka`b et Mâlik Ibn Abî `Âmir.
On retient donc que le choix était très réussi et n’émanait pas d’une quelconque passion ni intérêt personnel. Il était au contraire justifié par la compétence absolue, l’expertise, le dévouement à la tâche, la piété, la science et le savoir. L’historique de la commission et la vie de ses membres est la plus grande preuve de la justesse de ce choix et sa réussite.