Rappels Islamiques

La Troisième Source du Droit Musulman : Al-ijmâ‘ – le consensus


Louange à Allah, que la prière et le salut soient sur son prophète Mohamed sur sa famille et sur tous ceux qui le suivent jusqu’au jour de la résurrection


1. Définition
2. Les conditions
3. Sa force probante
4. Les cas possibles de consensus
5. Les cas effectifs de consensus
6. Les types de consensus


Définition

Le terme arabe ijmâ‘ signifie le consensus sur un cas juridique de tous les moujtahid d’une même époque postérieure à celle du Prophète.

Lorsqu’un cas juridique se présente à une époque donnée, et que tous les moujtahid s’accordent pour prononcer un même avis le concernant, leur accord est appelé ijma‘ (consensus). Le jugement résultant de ce consensus acquiert le statut de loi religieuse.

Dans la définition, il est bien précisé que l’on ne parle de consensus (ijma‘) qu’après la mort du Prophète. En effet, de son vivant, c’est à lui que revenait la tâche de prononcer des avis juridiques qui ne donnaient alors pas lieu à des conflits d’opinion. Sans conflit à son époque, on ne peut donc utiliser le terme de consensus.

Les conditions de l’ijmâ‘

Les conditions du consensus (al-ijmâ‘) se déduisent de sa définition, qui stipule qu’il n’est prononcé que par les moujtahid d’une même époque. D’où les quatre conditions de l’ijmâ‘ :

1- Qu’il existe plusieurs moujtahid vivant à l’époque du cas juridique à étudier : pour qu’il y ait accord, il faut différents avis qui se rejoignent. Si ladite époque ne compte qu’un seul moujtahid ou aucun, il n’y a alors pas lieu de parler de consensus. Cela s’applique à l’époque du Prophète durant laquelle celui-ci fut le seul moujtahid.

2– L’accord sur un jugement unique au sujet du cas juridique : tous les moujtahid du monde musulman doivent être unanimes quant au jugement, quelle que soit leur race, leur nationalité ou leur tendance. Si l’accord ne se fait qu’entre les moujtahid des Lieux Saints (La

Mecque et Médine), ou entre ceux de l’Irak ou du Hijâz ou entre les sunnites à l’exclusion des chiites (quoique ce dernier cas puisse se discuter), dans tous ces cas, on ne peut parler de consensus (ijmâ‘), mais seulement d’accord entre un nombre précis de moujtahid.

Répétons donc que l’ijmâ‘ n’est valide que lorsqu’il fait l’unanimité de tous les spécialistes en la matière.

3- Chaque moujtahid se doit de formuler son avis de manière explicite : cet avis peut revêtir la forme d’une fatwa ou d’une sentence prononcée lors d’un procès. Il se peut que chacun des moujtahid donne son avis de façon indépendante, puis qu’en comparant les différents avis de chacun, on s’aperçoive qu’ils concordent ; il se peut aussi qu’on réunisse tous les moujtahid, qu’ils examinent ensemble le cas juridique, se concertent et donnent un avis commun.

4. L’avis doit être émis à l’unanimité : si l’avis n’est obtenu que par l’accord de la majorité, il n’est pas considéré comme un cas de ijmâ‘. Même si les opposants sont minoritaires, le fait qu’il en existe prouve qu’il y a une possibilité d’erreur dans l’avis prononcé. Donc, il ne peut avoir la force probante d’une prescription divine.

Sa force probante

Si les quatre conditions de l’ijmâ‘ sont réunies de la manière suivante : A une époque postérieure à la mort du Prophète, un cas juridique est présenté devant l’ensemble des moujtahid contemporains, quel que soit leur pays, leur nationalité ou leur tendance. Chacun d’eux exprime clairement son avis, individuellement ou collectivement. Leurs avis se rejoignent unanimement en un seul. Alors, cet avis juridique devient une loi religieuse coercitive. Si le même cas se présente aux moujtahid des époques suivantes, ils doivent adopter le jugement prononcé par leurs prédécesseurs et s’abstenir de tout nouvel effort de réflexion sur ledit cas. Ainsi, une loi religieuse résultant de l’ijma‘ est définitive, indiscutable et ne peut être ni contredite ni abrogée.

Les preuves confirmant la force probante de l’ijmâ‘ sont les suivantes :

1. Dans le Coran, Dieu enjoint aux croyants de Lui obéir, d’obéir à Son Prophète et aussi à ceux exerçant l’autorité parmi les Musulmans en disant :

« Ô Croyants ! Obéissez à Dieu, obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent l’autorité… »

(Coran 4 Verset 59)

L’autorité mentionnée dans ce verset couvre les affaires de la vie profane et celles de la vie religieuse. Ceux qui exercent l’autorité dans la vie profane sont les monarques et les gouvernants, quant à ceux qui l’exercent en matière de religion ce sont les moujtahid et les muftis. Certains exégètes du Coran, dont l’illustre Ibn ‘Abbas, interprétèrent les termes « ceux d’entre vous qui détiennent l’autorité » comme désignant les spécialistes des sciences religieuses, alors que d’autres les interprétèrent comme désignant les princes et les gouvernants. L’interprétation la plus plausible est celle qui associe les deux précédentes.

Chacun des groupes détenteurs d’autorité doit être obéi dans son domaine propre. Lorsque ceux qui exercent l’autorité dans le domaine juridique, à savoir les moujtahid, sont unanimes sur un jugement, il faut appliquer ce jugement conformément à l’injonction coranique.

Dieu dit :

« Quand leur parvient une nouvelle, ils s’empressent aussitôt de la divulguer partout, qu’elle soit rassurante ou alarmante, alors qu’ils feraient mieux de s’en remettre au Messager ou à ceux d’entre eux qui détiennent l’autorité, seuls à même d’en comprendre le sens et de l’utiliser à propos. »

(Coran 4 Verset 83)

Il menace ceux qui s’opposent au Prophète en disant :

« Quiconque se sépare du Messager, après avoir eu pleine connaissance de la bonne direction, et suit une voie autre que celle des croyants, celui-là Nous l’abandonnerons dans la voie qu’il aura choisie et le précipiterons dans la Géhenne. Quel triste devenir ! »

(Coran 4 Verset 115)

Ainsi, le Coran compare et identifie celui qui contredit le Prophète à celui qui se détourne de la voie suivie par les croyants.

2. L’avis unanime des moujtahid est en réalité celui de toute la communauté musulmane, qu’ils représentent. Or, de nombreux hadîth du Prophète et paroles des Compagnons affirment que la communauté musulmane dans son ensemble ne peut se tromper. Le

Prophète dit à ce propos :

– « Ma communauté ne s’accorde jamais dans l’erreur ».

– « Certes, Dieu ne permet pas que ma communauté soit unanimement favorable à une hérésie ».

– « Ce que les Musulmans jugent bon, Dieu le juge bon aussi ».

En effet, si les moujtahid se prononcent à l’unanimité sur un avis juridique, malgré leurs différences d’opinions et d’environnement, c’est qu’ils sont guidés par les mêmes principes et qu’ils tendent vers une vérité unique. Ainsi, leur bon sens l’emporte sur les facteurs de divergence.

3. Le consensus sur un avis juridique – qui équivaut à une loi religieuse – doit être fondé sur une source reconnue par la sharia, car l’effort de réflexion du moujtahid se situe dans un cadre bien déterminé, dont il ne doit pas dépasser les limites. S’il existe un texte concernant le sujet de réflexion, la tâche du moujtahid s’arrête à comprendre le texte et à en extraire la prescription adéquate à la situation. Si le texte fait défaut, le moujtahid déploie un effort de raisonnement analogique (qiyâs) à partir des textes se rapprochant le plus du cas étudié, ou en appliquant les principes fondamentaux de la sharia. Sinon, il utilise les procédés qu’elle autorise, à savoir le choix préférentiel (al-istihsân) et la présomption de continuité (alistishâb), ou encore, il prend en considération l’usage (‘ourf) et l’intérêt public (al-maslaha almoursala).

Puisque l’effort de réflexion du moujtahid doit nécessairement se baser sur une indication reconnue par la sharia, l’accord de tous les moujtahid est considéré comme une preuve de l’existence d’une telle indication appuyant fermement l’avis qui résulte du consensus. Ainsi, on écarte la possibilité d’un accord établi sur un sens probable, parce qu’on sait, à priori, que les textes conjecturaux donnent lieu à plusieurs interprétations, vu que chaque moujtahid raisonne d’une manière qui lui est spécifique.

L’objet du consensus peut être un avis juridique sur un cas précis, l’interprétation d’un texte, ou la démonstration du bien-fondé d’une loi.

Les cas possibles de consensus (ijmâ‘)

Certains ‘oulamâ’, dont an-Nadhdhâm et des théologiens chiites, affirment que l’ijmâ‘, tel qu’il a été défini dans les paragraphes ci-dessus, ne peut se réaliser, parce qu’il est en réalité impossible de réunir les conditions citées. En effet, il n’y a pas de critères fixes qui permettent de dire : cette personne est compétente en matière d’ijtihâd et cette autre ne l’est pas. En outre, il n’existe pas de définition uniforme qui distingue celui qui est moujtahid de celui qui ne l’est pas. On ne peut donc déterminer parfaitement quels sont les moujtahid émérites.

Supposons que l’on connaisse tous les moujtahid du monde islamique, lorsque survient le cas à étudier ; on se trouve toutefois incapable de connaître, d’une manière sûre ou quasi sûre, quels sont leurs avis respectifs concernant ledit cas. Ils vivent sur des continents différents, dans des pays éloignés les uns des autres, appartiennent à des peuples divers et à des tendances non identiques. Par conséquent, il n’est possible ni de les réunir, ni de les consulter en même temps, ni encore de rapporter fidèlement, aux uns et aux autres, les avis de leurs confrères.

Supposons, maintenant, que l’on connaisse bien les moujtahid, que l’on puisse avoir leur avis de manière sûre, comment être certain que l’un d’eux ne va pas changer d’avis après l’avoir donné, pendant que l’on demande l’avis des autres ? Qui nous garantit qu’il ne va pas se rendre compte d’une erreur qui annulera son jugement ? Or, l’une des conditions de l’ijmâ‘ est de représenter le consensus de tous les moujtahid au même moment.

Parmi les arguments confirmant l’impossibilité du consensus, citons encore ce qui suit : le consensus sur un cas quelconque doit être confirmé par une indication religieuse (ad-dalîl), puisqu’il a été mentionné précédemment que le moujtahid doit se référer à un texte. Si l’indication suivie par les auteurs des consensus est indiscutable, elle est sans doute de notoriété publique. Les Musulmans la connaissent alors forcément et n’ont pas besoin de l’avis des moujtahid. Si cette indication est conjecturale, elle engendre une divergence d’opinions plutôt qu’un consensus. Il est donc impossible d’établir un consensus en se référant à un texte conjectural.

Dans son livre « Al-ahkâm », Ibn Hazm rapporte que ‘Abdallâh ibn Ahmad ibn Hanbal tenu les propos suivants :

« Mon père [Ahmad ibn Hanbal] disait : « Celui qui prétend qu’il y a eu un consensus ment. Il se peut que les gens [les spécialistes] se soient contredits à propos de la question [dont il parle] et qu’il ne le sache pas. Il vaut mieux dire : à ma connaissance, il n’y a pas eu de conflit d’opinions sur cette question ».

La majorité des ‘oulamâ’ penchent toutefois pour la possibilité de réaliser l’ijmâ‘. Ils soutiennent que nier cette possibilité revient à mettre en doute quelque chose qui existe réellement, et que la meilleure preuve que le consensus est possible réside dans le fait qu’il a effectivement été réalisé. Ils citent, pour appuyer leurs propos, un certains nombre de cas de consensus, tels que : la nomination d’Abou Bakr comme Calife, l’interdiction de la consommation de la graisse de porc, l’octroi du sixième de l’héritage à la grand-mère du défunt, la privation des petits-fils de l’héritage de leur grand-père au cas où leur père est décédé avant ce dernier, etc.

A notre avis, l’ijmâ‘, tel qu’il a été défini plus haut, est irréalisable dans le cas où on ne confie pas la tâche à des spécialistes ; il est tout à fait réalisable, si les Etats musulmans le prennent en charge. Chaque état définit les critères de sélection de ses moujtahid, et dispense des licences aux personnes compétentes. Ainsi, chaque Etat peut connaître le nombre de ses moujtahid et leur demander leur avis le cas échéant, collectivement ou individuellement. Tout les Etats musulmans peuvent donc communiquer l’avis unanime de leur moujtahid, le considérer comme ayant force de loi pour tous les Musulmans, et réaliser l’ijmâ‘ sur une question donnée.

Les cas effectifs de consensus

L’ijmâ‘, tel qu’il a été défini plus haut, a-t-il déjà été réalisé à une époque quelconque après le Prophète ? La réponse est non.

Prenons, par exemple, les cas de jugement consensuel émis par les Compagnons : on qualifie leur consensus d’ijmâ‘, mais en réalité il s’agit que d’un avis concerté entre un groupe de personnes présentes à un moment donné, possédant le savoir et la compétence nécessaires pour juger du cas porté devant elles. Il vaut mieux appeler cela un avis résultant de la concertation plutôt que d’un effort personnel.

Quand il devait rendre un jugement et qu’il ne trouvait pas la réponse ni dans le Livre ni dans

la Sunna, Aboû Bakr réunissait les plus illustres et les plus savants des Musulmans, leur demandait leur avis et s’appliquait à suivre le jugement résultant de leur consensus. Certes, ces illustres Musulmans qu’Aboû Bakr réunissait n’étaient pas tout ce que comptait le monde musulman comme éminences. En effet, de nombreux Compagnons se trouvaient, par exemple, à La Mecque, en Syrie ou au Yémen, ou encore sur le champ de bataille. Aboû Bakr n’a cependant jamais différé son jugement en attendant de réunir les avis de tous les Compagnons dispersés dans le monde musulman.

Il appliquait l’avis de ceux présents, se basant sur le fait qu’un avis collectif est toujours plus équitable qu’un avis individuel. ‘Omar suivait aussi l’exemple d’Aboû Bakr. C’est cette pratique que les juristes ont appelée ijmâ‘ : appellation qui désigne l’avis juridique collectif.

Ce procédé n’était couramment suivi qu’à l’époque des Compagnons, et au cours de quelques Califats omeyyades en Andalousie, où fut constitué, dans le courant du deuxième  siècle de l’Hégire, un collectif de spécialistes des sciences religieuses auquel on se référait pour élaborer de nouvelles lois. Dans les biographies des ‘oulamâ’ andalous, on lit souvent qu’un tel faisait partie de ce collectif.

A part les époques mentionnées ci-dessus, aucune autre n’a connu de cas d’ijmâ‘. Chaque moujtahid déployait son propre effort pour répondre aux cas juridiques qui lui étaient soumis, dans son pays et sa société. Donc, la législation résultait d’un effort individuel et non d’une concertation émanant d’un groupe de personnes compétentes. Il arrivait que les avis concordent, comme ils pouvaient s’opposer. Tout ce qu’un juriste pouvait dire, c’était : je ne connais pas de désaccord sur cette question.

Les genres de consensus

Il existe deux types d’ijmâ‘ :

1- Le consensus explicite (al-ijmâ‘ as-sarîh) : tous les moujtahid d’une époque donnée expriment leur accord sur un avis juridique de manière explicite. Chacun d’eux prononce une fatwa ou un jugement qui conforte cet avis. Donc ils affirment leur consensus par un acte ou une parole.

2- Le consensus implicite (al-ijmâ‘ as-sakoûtî) : une partie des moujtahid d’une époque quelconque s’expriment clairement sur un cas juridique, en rendant un jugement ou en prononçant une fatwa ; le reste des moujtahid n’exprime aucun avis, ni pour ni contre celui des premiers.

Le premier type, l’explicite, est le vrai consensus. Il acquiert la force probante d’une indication religieuse, selon les écoles doctrinales majoritaires. Le deuxième type, l’implicite, a une valeur moindre parce que se taire ne signifie pas nécessairement être d’accord. Par conséquent, on n’est pas certain qu’il y ait un consensus. Selon la majorité des juristes, il ne possède donc pas la force probante d’une indication religieuse. Il est considéré comme l’avis de quelques moujtahid.

Les ‘oulamâ’ hanafites adoptent toutefois, face au consensus implicite, une attitude qui leur est spécifique ; ils pensent qu’il a force probante dans le cas suivant : lorsqu’on est sûr que le moujtahid qui a gardé le silence a été consulté et a eu suffisamment de temps pour examiner le cas juridique porté devant lui et se faire une opinion. Pour que son silence soit considéré comme une acceptation de l’avis déjà prononcé par d’autres, il faut écarter tout soupçon de pression, de peur, d’incapacité ou de désinvolture, dans le comportement de ce moujtahid. En effet, le silence observé par un moujtahid sollicité par les Musulmans, en l’absence de contrainte, ne peut exprimer que son accord avec ce qui a déjà été dit. Sinon, il ne saurait se taire.

Quant à nous, nous penchons pour la position adoptée par la majorité. Le silence d’un moujtahid peut être dû à de nombreux facteurs, dépendant ou non de lui, qu’il est impossible de cerner avec précision. On ne peut donc affirmer qu’il s’agisse d’une acceptation. Celui qui ne se prononce pas sur un cas juridique doit être considéré comme sans opinion, et non comme favorable ou défavorable au consensus. La majorité des cas d’ijmâ‘ recensés sont des cas de consensus implicite.

L’ijmâ‘ peut, en outre, être indiscutable ou conjectural. L’ijmâ‘ explicite est indiscutable, c’est à-dire qu’il donne lieu à un jugement définitif qui doit être appliqué à tous les cas semblables.

L’ijmâ‘ implicite est conjectural. Le jugement qui en résulte est fort probable, mais non définitif. Si des cas semblables se présentent aux Musulmans, ils peuvent faire à nouveau l’objet d’un ijtihâd.


Et Allah seul détient La Vérité
Sur ce, Que la Paix de Dieu soit sur vous et vous accompagne partout où vous êtes.

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