Les Récits de la Tradition

Abu Bakr As-Siddîq


L’Envoyé d’Allah (saw) était entouré de Compagnons nobles et pieux. Il a ainsi promis à certains d’entre eux le Paradis, à savoir : Abu Bakr As-Siddiq, ‘Umar Ibn Al-Khattâb, ‘Uthman Ibn ‘Affan, Ali Ibn Abi Talib, Talha Ibn ‘Ubaydullah, Zubair Ibn Al ‘Awam, Saad Ibn Abi Waqas, Saïd Ibn Zayd, Abu ‘Ubayda ‘Umar Ibn Jarâh et ‘Abderrahmane Ibn ‘Awf (qu’Allah les agrée).

Dans un Hadith rapporté par Tirmidhi, le Messager d’Allah (saw) a dit :
« Dix seront au Paradis : Abu Bakr sera au Paradis, ‘Umar sera au Paradis ainsi que ‘Uthman, ‘Ali, Az-Zubayr, Talha, ‘Abd ar-Rahman, Abu ‘Ubayda, Saad ibn Abi Waqas et le dixième je ne veux pas vous le dire. »
Ils ont insisté pour le savoir en lui demandant par deux fois : « Qui est le dixième ? »
La première fois il s’est tu et la deuxième fois il répondit : « C’est Saïd Ibn Zayd. »

Nous allons raconter dans cette série, la Biographie de ces dix Compagnons concernés.


Abu Bakr As-Siddîq

« S’il m’avait été permis d’avoir pour ami intime quelqu’un d’autre que Dieu, cela aurait été Abû Bakr. Seulement, il est mon frère et mon compagnon. »
(Parole du Prophète Muhammad, rapportée par Boukhâri dans son Sahih)

Lorsque Muhammad (saw) s’isolait dans la grotte de Hirâ pour méditer et se recueillir, Abû Bakr, son futur compagnon et beau-père était alors un des plus riches commerçants de la Mecque.
Etait-il au courant de la quête spirituelle de son compatriote? Il avait dû apprendre, comme la plupart des gens de la Mecque, que Muhammad, l’époux de la riche Khadija (ra), avait une attirance pour la méditation et la spiritualité. Il devait être au courant de son comportement moral, rare à l’époque, qui lui avait valu le surnom d’Al-Amîn (Le digne de confiance).

C’est pour cela, sans doute, qu’il a dû le suivre dès qu’il a commencé à prêcher ce que l’Esprit Saint lui a révélé.

Par ailleurs, les sources islamiques mettent l’accent sur le caractère doux et spirituel d’Abû Bakr (ra). Il en était de même de son penchant pour l’ascétisme et le détachement des choses de ce monde. On rapporte à cet effet, que même devenu calife, successeur temporel du Prophète (saw), il vaquait à ses affaires personnelles, en vendant des vêtements au marché pour subvenir à ses besoins. C’est dire combien cet homme illustre était disposé à recevoir les enseignements du Prophète (saw) et à devenir un de ses plus intimes compagnons.

Abû Bakr (ra) appartenait à la célèbre tribu de Quraysh. Ayant un ancêtre commun avec le Prophète (saw), il était donc un pur produit de la noblesse arabe… Comme s’il était prédestiné au rôle qui serait le sien, les histoires qui se rapportent à son sujet indiquent que son comportement et sa morale durant son enfance et sa jeunesse furent aux antipodes de ceux de ses concitoyens. On louait son honnêteté dans les affaires du commerce. On admirait sa sagesse et sa pondération. Certaines sources rapportent que le surnom d’As-Siddîq (le véridique, le sincère) lui fut attribué par ses concitoyens pour son intégrité morale.

D’autres, par contre, estiment que cette appellation lui avait été donnée par le Prophète (saw) parce qu’il avait été le premier à croire au message divin sans avoir jamais douté, même dans les moments les plus pénibles. Quoi qu’il en soit, ceci n’enlève rien au mérite de ce grand homme que la Providence divine a choisi comme un solide pilier pour soutenir la mission du dernier des messagers.

Déjà, lorsque le Prophète (saw) revint de son fameux voyage céleste (al-Miraj), et que ses concitoyens se mirent à le tourner en dérision, Abû Bakr, à qui ils s’adressèrent pour lui faire remarquer la prétendue folie de son compagnon, répondit, imperturbable :
« Par Dieu, je crois à plus que cela; je crois avec certitude qu’il reçoit la révélation de son Seigneur du haut du septième ciel.»
 

Cet homme hors du commun est né à la Mecque deux ans après le Prophète (saw). Son père s’appelait ‘Uthman, mais on le surnommait Abû Quhâfa. Quant à sa mère, elle s’appelait Salma, mais était connue sous le surnom d’Um al-Khayr. Il reçut une solide éducation faisant de lui l’une des personnes les plus en vue de la société mecquoise.

Dès son jeune âge, sa réputation d’honnête homme, loyal, sage et intègre, s’imposa à ses concitoyens. On rapporte que la tribu des Quraysh l’avait choisi pour la représenter dans les discussions lors des conflits tribaux où il y avait mort d’hommes. Ces discussions servaient à fixer le prix du sang (ad-diyya). Il est évident que pour pouvoir être désigné à tenir ce rôle-là, il fallait avoir fait ses preuves en matière de sagesse et de maturité.

On rapporte aussi qu’il était très sollicité par ses concitoyens pour ses conseils qui étaient d’une grande utilité.

Figure d’une grande noblesse, il était très généreux envers les pauvres et les nécessiteux. Toutes ces qualités ne pouvaient que susciter l’estime et la sympathie des gens de bon caractère et de bonne moralité que connaissait alors la Mecque.

Parmi ceux-ci, il y avait, bien sûr, le Prophète (saw), qu’une grande amitié, dit-on, liait à notre homme. Et lorsque l’heure de la Révélation sonna, on les retrouva tous les deux sur le chemin de Dieu, assumant et subissant toutes les épreuves qu’exige une telle mission.

Abû Bakr (ra) est, comme nous l’avons dit, le premier homme à avoir embrassé l’islam. Son choix ne fut pas long à se dessiner. Connaissant l’honnêteté et la sincérité de son ami d’enfance, il n’hésita pas un instant. Il est vrai que sa nature douce et son âme spirituelle le prédisposaient à faire ce choix. Lorsque le Prophète (saw) lui prêcha le message qu’il recevait de son Seigneur, il l’accepta sans hésitation. Il devint un des plus ardents défenseurs. C’est à juste titre que le Prophète (saw) a dit de lui :
« S’il m’avait été permis d’avoir pour ami intime quelqu’un d’autre que Dieu, cela aurait été Abû Bakr. Seulement, il est mon frère et mon compagnon. »
 
Son comportement et sa morale étaient des plus exemplaires du temps même de la période antéislamique (jâhiliyyah). On rapporte qu’étant encore enfant, son père l’emmena à la Ka’ba pour rendre un culte d’adoration aux idoles. Il s’approcha de l’une d’elle et lui dit :
« J’ai faim, nourris-moi ! » Il n’eut aucune réponse.
Il ajouta : « J’ai soif donne-moi à boire ! » Il n’obtint aucune réponse.
Il ajouta encore : « J’ai froid, vêtis-moi! » Ce fut toujours le silence.
À la fin, il prit un caillou et lui dit: « Je vais te jeter ce caillou et si tu es un Dieu, défends-toi. » Il lui jeta le caillou et elle tomba à la renverse.

On rapporte aussi qu’il était d’une grande vertu et qu’il n’avait jamais bu une goutte d’alcool. Chose vraiment paradoxale dans une société où tous ses membres étaient des épicuriens nés. Dans un Hadith rapporté par Ibn ‘Asâkir, on demanda à Abû Bakr (ra) pourquoi il s’était toujours abstenu de boire de l’alcool. Il répondit :
« Parce que je voulais préserver mon honneur, et protéger ma réputation ;
car celui qui s’adonne à l’alcool ne fait attention ni à son honneur, ni à sa dignité !»
 

Lorsque le Prophète (saw) entendit ces propos, il dit :
« Abû Bakr a dit vrai ! Abû Bakr a dit vrai ! »

Il était dans la nature des choses qu’un homme comme Abû Bakr (ra) se convertisse à la religion prêchée par Muhammad (saw) dans la mesure où les idéaux véhiculés par cette religion correspondaient à sa philosophie de la vie. C’est pourquoi le Prophète (saw) a dit à son sujet :
« Tous ceux à qui j’ai prêché l’islam ont trouvé quelque hésitation, sauf Abû Bakr. »

Il avait alors trente-huit ans. Sa vie sera dès lors intimement liée au destin du Prophète (saw) et de l’islam dont il sera un des principaux piliers. On ne connaît pas d’événements dans l’histoire de l’islam naissant où il n’ait été associé avec le Prophète (saw). Bien plus rares étaient les fois où il s’éloigna de l’Envoyé de Dieu. On peut dire qu’ils étaient inséparables. Les seules fois où ils se séparèrent ce fut lorsque le Prophète (saw) lui confiait des missions ou le chargeait d’accomplir des rites, comme par exemple lorsqu’il fut désigné pour diriger le pèlerinage succédant à la prise de la Mecque et à la purification de la Ka’ba. À l’exception de ces rares cas où les deux hommes furent séparés, le reste de leur existence fut intimement lié jusqu’à ce que la mort les eut séparés temporairement.
C’est ainsi qu’on trouvera Abû Bakr (ra) dans tous les événements ayant jalonné l’apostolat du Prophète (saw). Il participa à toutes les batailles que mena l’Envoyé de Dieu contre les négateurs et, lorsque le jour vint où celui-ci, décida de quitter la Mecque pour s’établir à Médine où son message trouva un écho favorable, ce fut à lui qu’échut l’honneur d’être son compagnon de route. Le Saint Coran a d’ailleurs consigné pour l’éternité cet événement :
« […] Quand ils étaient dans la grotte et qu’il disait à son compagnon: Ne t’afflige pas, car Dieu est avec nous […]»
(Coran 9 Verset 40)

Homme très aisé et à la fortune considérable avant l’avènement de l’islam, il mit tous ses biens au service de Dieu et de Son Envoyé.
On rapporte qu’il racheta de nombreux esclaves convertis livrés à la torture par leurs maîtres mécréants, et leur rendit la liberté. Parmi eux, il y avait Bilal (ra), l’Abyssin, ‘Amr Ibn Fuhayra (ra) et d’autres malheureux livrés au supplice. C’est à juste titre que le Prophète (saw) a dit à son sujet :
« Il n’y a pas de biens qui m’ont été utiles (pour défendre la cause de Dieu) comme ceux d’Abû Bakr !».

L’engagement d’Abû Bakr (ra) pour l’islam fut total et indéfectible. Il fut un des rares compagnons à rester ferme et à ne pas fléchir dans les situations les plus désespérées. Il faut dire qu’il n’a jamais douté du soutien de Dieu à Son Envoyé.
On aime rappeler, à ce propos, son comportement héroïque, lors de la bataille d’Uhud et de celle de Hunayn où, il resta avec un petit nombre de compagnons autour du Prophète (saw), alors que beaucoup durent fuir. Son courage et sa bravoure étaient exemplaires.
Deux hadiths illustrent cet état de fait. ‘Urwa Ibn Zuhayr (ra) rapporte qu’il avait demandé à Abdallah Ibn ‘Amr Ibn Al-‘ Âs (ra) de lui raconter ce que les négateurs avaient fait subir de plus dur au Messager de Dieu. Il répondit :
« J’ai vu ‘Uqba Ibn Mu’âdh, profiter, de ce que le Prophète (saw) était absorbé dans ses prières, dans un coin de la Ka’ba, et de lui passer son vêtement autour du cou pour l’étrangler. Alors, dit-il,
Abû Bakr (ra) est arrivé et l’a repoussé en disant : « Voulez-vous tuer
un homme pour avoir dit : Mon Seigneur, c’est Dieu ! » »


D’autre part, ‘Aïcha (ra) a relaté ce qui suit :
« Lorsque les compagnons du Prophète (saw) eurent atteint le nombre de trente-neuf hommes, Abû Bakr se rendit auprès du Messager de Dieu et insista pour qu’il le laisse proclamer ouvertement le message de l’islam. Le Prophète (saw) lui fit savoir que les musulmans étaient encore peu nombreux et qu’il ne voulait pas les exposer aux brimades des négateurs. Mais Abû Bakr (ra) insista tellement que le Messager de Dieu accepta. Alors que les musulmans allaient se réfugier auprès des membres de leur clan réunis autour de la Ka’ba, Abû Bakr (ra) se leva et commença à prêcher en invitant les païens qurayshites à l’adoration du Dieu unique. Ceci provoqua, bien entendu, la fureur des infidèles qui se jetèrent sur lui et commencèrent à le rouer de coups au point de le défigurer. »

Ainsi, donc, Abû Bakr (ra) fut le premier homme à prêcher ouvertement l’islam. Son engagement n’en resta pas là, loin s’en faut. Il s’engagea corps et âme dans le triomphe du message prêché par le Prophète (saw) et mit à son service tous les biens qu’il possédait.
Comme nous l’avons signalé plus haut, Abû Bakr était un des plus riches commerçants de la Mecque.
L’historien Ibn ‘Asâkir a rapporté, d’après le témoignage de ‘Aïcha (ra), que la fortune de son père s’élevait à quelque quarante mille dinars, somme considérable à l’époque. Il l’a bien entendu, entièrement dépensée au service de l’islam, après sa conversion.
Ceci eut pour effet de lui attirer l’hostilité et les tracasseries des gens furieux de voir la nouvelle religion prendre de l’ampleur et gagner de nouveaux adeptes.

En outre, le cas d’Abû Bakr (ra) leur posa problème. En effet, tant que les nouveaux convertis étaient issus des classes défavorisées, cela ne dérangeait nullement les qurayshites qui y voyaient là une révolte sociale de la plèbe contre l’aristocratie. Ne sont-ils pas allés proposer à leur chef de file toutes sortes de privilèges sociaux afin qu’il renonce à son apostolat ?
Mais le fait qu’un homme riche et noble comme Abû Bakr (ra) passe de l’autre côté de la barrière et rejoigne les disciples du Prophète, prouvait que la nouvelle religion prêchée par le Prophète (saw) n’était pas une révolte sociale.

Abû Bakr (ra) pouvait vivre dans l’aisance et la considération de ses concitoyens rien qu’en respectant leurs croyances obscurantistes et en demeurant dans leur camp. Mais il était convaincu que Muhammad (saw) était sincère dans ce qu’il prêchait. Il savait que le caractère de son compagnon le prédestinait à un avenir grandiose.
Les hommes prédestinés, notamment les prophètes, ont cette particularité qu’ils attirent leurs semblables comme l’aimant attire l’acier. Leur aura spirituelle est telle qu’elle irradie autour d’eux en touchant ceux qui sont les plus prédisposés à recevoir les faveurs divines. Abû Bakr (ra) était de ceux-là. La grâce divine l’avait choisi pour assister le dernier Messager dans sa mission. Il ne faillira jamais en cours de route.

Jusqu’à présent, les premiers convertis à l’islam étaient en train de subir les sévices et la violence des infidèles.
Les persécutions étaient telles que le Prophète (saw) ordonna à ses compagnons de quitter la Mecque et d’aller se réfugier en Abyssinie auprès d’un Négus sage et juste. Il leur dit :
« Allez en Abyssinie ! Il y a là-bas un roi auprès duquel personne n’est opprimé. Restez-y jusqu’à ce que Dieu vous trouve une issue plus aisée! »

Ils étaient douze hommes et quatre femmes parmi les plus faibles d’entre les musulmans à faire ce voyage. Lassé des mauvais traitements que lui faisaient subir les infidèles, Abû Bakr (ra) se trouva contraint de partir lui aussi. Il demanda, pour ce faire, la permission du Prophète (saw) et prit le chemin du Yémen où il devait prendre la mer pour l’Abyssinie. Arrivé dans un endroit appelé Qarâh, il rencontra un allié de Quraysh, Ibn Ad- Dughuna qui régnait sur cette contrée.
Celui-ci fut étonné d’apprendre qu’un noble et illustre homme tel qu’Abû Bakr se trouve obligé de s’expatrier pour fuir les persécutions de ses compatriotes. En homme loyal, connaissant à plus forte raison la réputation d’Abû Bakr, il lui proposa de lui accorder sa protection et de retourner avec lui à la Mecque.
Devant les dignitaires de Quraysh, Ibn Ad-Dughuna annonça qu’il prenait Abû Bakr (ra) sous sa protection, pratique qui était très courante durant la période antéislamique, notamment entre des tribus qui étaient liées par une alliance militaire.
Les qurayshites acceptèrent cette protection, mais quelques temps après, ils allèrent trouver Ibn Ad-Dughuna et lui demandèrent de dire à son protégé de ne plus lire le Coran en public, parce que cela finissait, dans la plupart des cas, par influencer les gens de son voisinage.
Celui-ci fit ce que lui demandèrent les qurayshites, et invita son protégé à cesser sa lecture publique. Mais Abû Bakr (ra) lui répondit clairement :
« Je n’ai plus besoin de ta protection! Dieu me suffit. »
Il resta donc à la Mecque et ne quitta plus l’Envoyé de Dieu.

Il faut dire que plusieurs épreuves attendaient ce dernier ainsi que ses compagnons qui sont restés avec lui. Plus l’islam progressait parmi les gens de la Mecque et des alentours, plus l’acharnement des infidèles augmentait et devenait intolérable. Il est vrai que la conversion d’un noble comme Abû Bakr (ra) avait amené la conversion d’autres membres de la noblesse mecquoise comme ‘Uthman, Talha, Zubayr Ibn Al ‘Awwâm, Abî Waqqâs, etc (ra).

Avec la conversion d’un autre illustre homme, ‘Umar Ibn Al-Khattab (ra), l’islam s’imposait peu à peu et le parti des musulmans se renforçait. Ceci avait provoqué, par voie de conséquence, le courroux des infidèles qui redoublèrent d’acharnement dans leurs persécutions contre les faibles d’entre les musulmans.
 Une nouvelle fois, le Prophète (saw) envoya plusieurs de ses compagnons en Abyssinie. Quatre-vingt-trois hommes et dix-huit femmes prirent part au voyage vers le lointain pays du Négus. 

Les qurayshites, apprenant cette nouvelle, avaient dépêché, auprès du monarque abyssin, des émissaires pour réclamer l’extradition des réfugiés. En vain, celui-ci refusa d’accéder à leur demande (Voir l’Article sur cette émigration). Alors, de dépit, ils se retournèrent contre ceux de la Mecque. Ce fut alors le blocus total du clan des Banû Hâshim que l’on mit en quarantaine dans une vallée aride avec interdiction d’avoir des contacts de quelque nature que ce soit avec lui.

Ainsi, durant trois longues années, les musulmans furent soumis à un boycott des plus sévères. Ce fut là, la plus dure épreuve à laquelle furent confrontés les adeptes de l’islam. Elle se termina par la mort de deux des plus grands soutiens du Prophète (saw): son épouse Khadîja (ra) et son oncle Abû Talib. L’Envoyé de Dieu (saw) fut très peiné par cette épreuve. L’incrédulité de son peuple et son hostilité à son égard augmentaient sa peine.
Heureusement que des hommes comme Abû Bakr (ra) étaient là pour le soutenir et atténuer sa douleur. Leur fidélité indéfectible et leur confiance sans limite dans la sincérité de sa révélation forçaient l’admiration.

Dans le cas d’Abû Bakr, l’événement extraordinaire de l’ascension du Prophète (saw) et son voyage nocturne (al-Isrâ’ wal Miraj) allait en fournir une parfaite illustration.

En effet, lorsque le Prophète (saw) annonça un jour, aux gens de Quraysh, qu’il venait de faire son fameux voyage céleste qui l’avait conduit de la Mecque à Jérusalem et de là aux cieux, où il parvint jusqu’au lotus de la limite (Sidrat al-Mountaha), il fut en butte aux sarcasmes des infidèles et à leurs moqueries. Puis encore, ils allèrent trouver son fidèle compagnon, Abû Bakr, et lui rapportèrent sur un ton sarcastique, ce qu’ils estimaient être les élucubrations de son Prophète.
Mais Abû Bakr (ra), à qui Dieu avait ouvert le cœur à la foi, leur répondit spontanément : 
« S’il a dit qu’il a fait ce voyage, c’est que cela est vrai! Quant à moi, je le crois déjà pour plus que cela ; je le crois quand il me dit qu’il reçoit des nouvelles du haut des sept cieux! »

Abû Bakr (ra) ne prononça pas ces paroles par dépit ou pour narguer les détracteurs de son compagnon, loin s’en faut, c’était l’évidence même pour lui. Il avait cru en la destinée extraordinaire de Muhammad.

Après la disparition d’Abû Talib, qui a toujours soutenu son neveu au grand dam des dignitaires qurayshites, les persécutions contre le Prophète (saw) et ses compagnons redoublèrent.

C’est alors que l’Envoyé de Dieu décida d’émigrer à Médine, Yathrib de son vrai nom, une ville située à quelque cinq cents kilomètres de la Mecque, et dont les habitants étaient déjà acquis à l’islam. Beaucoup de ses compagnons l’avaient déjà précédé. Quant à lui, c’est avec Abû Bakr (ra) qu’il décida, une nuit, de partir, alors que ses ennemis préparaient un complot pour le faire assassiner.

En effet, une fois qu’il fut informé par le Seigneur, des desseins des païens, il recommanda à son fidèle compagnon de préparer deux montures et des provisions de voyage et lui confia qu’ils partiraient ensemble à Médine, dans les plus brefs délais. Abû Bakr (ra) sauta de joie à l’idée d’être le compagnon de route du Prophète (saw). En effet, à chaque fois qu’il lui demandait la permission de partir, celui-ci lui répondait :
« Ne sois pas pressé ! Peut-être Dieu te donnera-il un compagnon ! »
 

Il est vrai que celui-ci avait pressenti ce voyage avec l’Envoyé de Dieu. Pour ce faire, il avait acheté deux chamelles, qu’il avait confiées à un berger pour les faire paître, en attendant le jour du départ.
C’est ainsi que le jour tant attendu arriva. Le Prophète (saw) se dirigea vers la demeure d’Abû Bakr (ra) qui l’attendait avec anxiété, tandis que les païens encerclaient sa maison dans le but de l’assassiner. 
Tous deux, en compagnie d’un guide affrété par Abû Bakr, prirent le chemin du désert, poursuivis par les hordes de païens, rendus furieux par leur coup manqué. Ce fut un voyage plein de péripéties duquel allait dépendre l’avenir de l’islam (Voir l’article sur cette émigration).

De fait, les lèvres des musulmans, réunis à Médine, étaient suspendues à la nouvelle de l’arrivée de leur Prophète (saw) sain et sauf parmi eux. Abû Bakr, quant à lui, tremblait de frayeur à l’idée qu’il puisse arriver malheur à son compagnon.
On rapporte, en effet, que durant tout le trajet qu’ils effectuèrent ensemble, Abû Bakr (ra) veilla sur le Prophète (saw) comme sur la prunelle de ses yeux. Déjà, avant de partir, il avait pris avec lui tout son argent, pour le mettre au service du Messager de Dieu.
Quand ce dernier l’apprit, il (saw) lui demanda : 
– « Et qu’as-tu laissé à ta famille, ô Abû Bakr ? » 
Il répondit : – « Je leur ai laissé Dieu et son Prophète ! »

Lorsqu’ils se réfugièrent dans la caverne de Thawr pour fausser les recherches des tueurs lancés à leur poursuite, c’est encore lui qui entra, le premier, pour vérifier s’il n’y avait pas d’animal dangereux caché à l’intérieur. Durant tout le trajet qui les séparait de Médine, il ne cessait de s’inquiéter pour le Messager de Dieu.

Il ne savait quoi faire pour le protéger. Tantôt, il le précédait de crainte qu’un danger ne surgît de devant, et tantôt, se rappelant que le danger pouvait venir de derrière, il laissait ce dernier avancer et se mettait derrière lui. Il ne cessa sa vigilance qu’une fois arrivés en vue des murs de Médine où les attendaient, avec impatience, ses habitants, les Ansars, et les musulmans qui avaient émigré, les Muhâjirîn.
L’arrivée à Médine annonçait une nouvelle ère pour l’islam qui bénéficiait à présent d’un espace favorable, lui assurant protection et propagation. Il est vrai que l’hostilité et le bellicisme des infidèles ne faisaient que commencer.

Pour défendre leur foi, leurs biens et leurs familles, les musulmans allaient être obligés de faire la guerre. Abû Bakr fit preuve, au cours des nombreuses batailles menées par le Prophète (saw), d’un courage extraordinaire. Il participa à toutes les campagnes des musulmans. Sa bravoure était reconnue par tous les compagnons y compris les plus illustres d’entre eux dont ‘Ali Ibn Abi Tâlib (ra).

Le traditionaliste Al-Bazzâr, a rapporté, à ce sujet, ce qui suit.
« Un jour, au cours d’une assemblée, ‘Ali demanda aux personnes présentes de lui citer celui qu’ils pensent être le plus courageux parmi les musulmans. On lui répondit : « C’est toi. »
Il dit : « C’est vrai à chaque fois que j’ai affronté quelqu’un, j’ai eu le dessus sur lui. Mais il y a encore quelqu’un de plus courageux. Dites-moi qui est-ce ? »
Ils répondirent : « Nous ne savons pas ! »
Il dit alors : « C’est Abû Bakr (ra)! Et je vais vous dire pourquoi ; lors de la bataille de Badr, nous avions installé pour le Messager de Dieu (saw) un auvent pour qu’il soit à l’abri du soleil. Ceci étant, nous avions jugé utile de lui adjoindre un garde du corps pour le protéger des attaques surprises des infidèles. Nous demandâmes un volontaire, et c’est Abû Bakr (ra) qui se proposa pour cette tâche. Il se tint à la hauteur du Messager de Dieu tenant son épée à la main et, à chaque fois qu’un infidèle essayait de s’approcher du Prophète (saw), il l’en empêchait. Certes, Abû Bakr (ra) est le plus courageux parmi nous. » »

D’un caractère doux et pondéré, il savait être ferme lorsque les circonstances l’exigeaient. On rapporte, à cet égard, le fait suivant :
Lors des pourparlers précédant le traité historique d’Al-Hudaybiyah, conclu entre le Prophète (saw) et les qurayshites, le représentant de ces derniers, ‘Urwa Ibn Mas’ûd Ath-thaqafi, essaya de dissuader l’Envoyé de Dieu d’entrer à la Mecque, en lui disant : « Par Dieu, je crains que les hommes qui sont avec toi ne t’abandonnent demain. Si tu savais ce que Quraysh est en train de préparer pour t’empêcher d’y entrer. » 

Abû Bakr (ra), présent avec le Prophète (saw), répliqua aussitôt en insultant les divinités païennes : « Crois-tu sérieusement que nous allons abandonner l’Envoyé de Dieu? »

À la signature du traité d’Al-Hudaybiyah, il fut choisi comme témoin par le Prophète (saw) qui avait, en face de lui, Sahl Ibn ‘Amr, le délégué de Quraysh. On rapporte que ce dernier fut très surpris par la fermeté d’Abû Bakr, réputé pourtant pour sa douceur.

Doux, il l’était toujours, certes, mais maintenant que la Vérité avait pénétré son cœur, il se consacrait corps et âme pour elle, ne voulant faire aucune concession à ces infidèles aveugles refusant de voir des êtres humains pourvus d’intelligence s’accrocher à des croyances insensées et rejeter la Vérité dans toute sa splendeur. Lui, par contre, avait eu l’immense privilège d’atteindre le summum de la foi et de goûter à la saveur incomparable que cela procure. Ce degré de la foi a été qualifié ainsi par l’Envoyé de Dieu : 
« C’est d’adorer Dieu, comme si tu Le voyais; car, si tu ne le vois pas, certes, Lui te voit. »

Abû Bakr (ra) avait atteint, sans nul doute, ce stade de la foi. Son comportement moral, avant et après son investiture comme calife, ses sacrifices, son engagement total pour la cause de l’islam, en sont les meilleurs indices. 
Abû Bakr (ra) n’a jamais douté de la véracité de la mission du Prophète (saw). Il était tellement convaincu de la bonne foi et de la sincérité de ce dernier, qu’il n’a jamais hésité un instant à s’investir de toute son âme pour le triomphe du Message.

A vrai dire, les mérites d’Abû Bakr (ra) ne peuvent être énumérés dans leur totalité tant ils sont nombreux. Que dire de plus, en effet, sur un homme loué à plusieurs reprises par le Coran lui-même! Selon le propre témoignage de nombreux compagnons, beaucoup de versets ont été révélés pour mettre en exergue le comportement exemplaire d’Abû Bakr et sa piété admirable. On en cite plusieurs à ce sujet :
« Si vous ne lui apportez pas assistance, Dieu la lui a effectivement apportée lorsque ceux qui avaient mécru le firent sortir deuxième de deux, quand ils étaient dans la grotte, et qu’il disait à son compagnon; ne t’afflige pas, car Dieu est avec nous. »
(Coran 9 Verset 40)
 
Tous les commentateurs du Coran sont unanimes pour dire que ce verset fait allusion à Abû Bakr, réfugié avec le Prophète (saw) dans la caverne de Thawr, alors qu’ils étaient poursuivis par les qurayshites. Dans les versets 5 à 7 de la sourate 92, il est dit :
« Celui qui aura donné (l’aumône) et craint pieusement Dieu. Et qui aura cru au bien, Nous le prédisposerons à la vie la plus aisée. »
‘Abdallah Ibn Mas’ûd (ra) a dit au sujet de ces versets qu’ils ont été révélés après qu’Abû Bakr (ra) eût racheté Bilal, l’Abyssin et lui eût rendu sa liberté.

D’autre part, ‘Abdallah Ibn Az-Zubayr (ra), soutient que c’est au sujet d’Abû Bakr (ra) que les versets suivants ont été révélés :
« Qui donne ses biens pour se purifier, et auprès de qui personne ne profite d’un bienfait intéressé, mais seulement pour la recherche de la face de son Seigneur le Très-Haut. Et certes, il sera bientôt satisfait.»
(Coran 92 Versets 18-21)


Par ailleurs, Ibn ‘Abbâs et Ibn ‘Umar estiment que le verset suivant a été révélé au sujet d’Abû Bakr (ra) et de ‘Umar (ra). Il s’agit de la parole du Très-Haut :
« […] Si vous vous soutenez l’une l’autre contre le Prophète, alors ses alliés seront Dieu, Gabriel et les vertueux d’entre les croyants […] »
(Coran 66 Verset 4)

Ussayd Ibn Safwân a rapporté, pour sa part, que’ Ali Ibn Abî Tâlib (ra) a dit, concernant la parole de Dieu : 
« Celui qui vient avec la Vérité […] » Il s’agit de Muhammad (saw); quant à la suite du verset : « et celui qui y crut. » (Coran 39 Verset 33), il s’agit d’Abû Bakr (ra). 
(Rapporté par Al-Bazzar et Ibn ‘Asâkir)

C’est ce compagnon que les musulmans, à la mort de leur Prophète (saw), vont choisir pour déléguer les pouvoirs temporels et spirituels de leur communauté. 

Il y a plusieurs jours déjà que le Prophète (saw) était alité, souffrant de fortes douleurs qui l’empêchaient de sortir de sa demeure. Ce n’est qu’appuyé sur les épaules de deux compagnons qu’il pouvait sortir de temps à autre, pour diriger la prière ou rendre visite à ses proches.

Quelques temps après, ne pouvant plus supporter les affres de la maladie et le va et vient entre ses épouses, il demanda à ces dernières la permission de rester dans la chambre de ‘Aïcha (ra), sa plus jeune épouse.
C’est alors qu’il chargea Abû Bakr (ra) de diriger la prière en commun à sa place. On rapporte que ‘Aïcha (ra), en entendant cela, intercéda en faveur de son père afin qu’il soit déchargé de cette responsabilité. Elle justifia cela par le fait que son père, étant une personne très sensible, ne pouvait s’empêcher de pleurer pendant la prière, ce qui aurait rendu sa voix inaudible. Mais le Prophète (saw) insista jusqu’à se mettre en colère. Il voulait à tout prix qu’Abû Bakr (ra) prenne sa place dans la direction de la prière.
Les savants musulmans ont déduit, à la suite de cet événement, que le Prophète (saw) avait souhaité accorder sa succession à la tête de la communauté, à Abû Bakr.
Il est vrai qu’à travers de nombreux faits et événements, on remarque le souhait de l’Envoyé de Dieu de voir son fidèle compagnon lui succéder à la tête de la communauté. Ce choix tient à plusieurs raisons. Nous avons vu plus haut, en effet, qu’Abû Bakr (ra) fut le premier homme à embrasser l’islam. Son adhésion entraînait celle de nombreux autres notables, vu le prestige dont il jouissait à la Mecque.

Le Prophète (saw) a dit à son sujet :
« Tous ceux à qui j’ai prêché l’islam ont trouvé quelque hésitation, sauf Abû Bakr. »

En outre, sa fidélité à l’islam et sa foi en la sincérité du Prophète (saw) ne furent jamais ébranlées, même dans les moments les plus difficiles. Nous avons vu son attitude le jour où il répondit aux qurayshites qui mirent en doute l’affirmation du Prophète (saw) lors de son ascension au ciel.

Par ailleurs, plusieurs faits et allusions du Prophète (saw) laissent entendre, sans aucune ambiguïté, que l’ Envoyé de Dieu souhaitait ardemment que sa succession à la tête de la communauté soit assurée par Abû Bakr. Ainsi, Hudhayfa (ra) a rapporté que le Prophète (saw) a dit :
« Suivez la voie de ceux qui viendront après moi : Abû Bakr (ra) et ‘Umar. »
(Rapporté par Tirmidhi et Al-Hakim)

‘Abdallah Ibn ‘Umar (ra) a rapporté, pour sa part, que le Prophète (saw) a dit :
« Onze califes viendront après moi; quant à Abû Bakr, il restera peu de temps. »
(Rapporté par AI-Baghawî)


En outre, lors de sa maladie, le Messager de Dieu (saw) a dit à ses compagnons :
« Fermez toutes les portes des demeures qui donnent sur l’intérieur de la mosquée, et ne laissez ouverte que la porte d’Abû Bakr! » 
(Rapporté par Boukhâri)

Par ailleurs, Muhammad Ibn Jubayr Ibn Murim a rapporté d’après son père (ra) qu’une femme avait rendu visite au Messager de Dieu (saw) à propos d’un problème la concernant. Celui-ci lui demanda de revenir une autre fois. La femme dit : 
« Et si je ne te retrouvais plus (de ce monde) ? L’envoyé de Dieu lui répondit : « Si je ne suis plus là, adresse-toi alors à Abû Bakr! » 
(Rapporté par Al-Boukhâri et Muslim)

Toujours dans cet ordre d’idées, on demanda à ‘Aïcha (ra) :
« Si le Messager de Dieu avait pu désigner un successeur, quelle est la personne qu’il aurait pu choisir? »
Elle répondit : « Cela aurait été Abû Bakr! »
On lui demanda : « Lequel ensuite? »
Elle répondit: « ‘Umar ! »
On lui demanda : « Lequel ensuite ? »
Elle répondit : « Abû ‘Ubayda Ibn AI-Jarrâlh! » 
(Rapporté par Muslim)
 

Tous ces hadiths, qui sont autant de marques de confiance et d’estime qu’avait le Prophète (saw) pour son fidèle compagnon, montrent que celui-ci était le plus digne et le plus apte pour prendre sa succession et diriger les affaires de la communauté.
Ce n’est pas sans raison, d’ailleurs, qu’un des compagnons, Ibn Al-Musayyib a dit, selon un hadith rapporté par Al-Hakim:
« Abû Bakr (ra) avait, auprès du Prophète, la place d’un ministre. Il lui demandait conseil en toute chose. Il était son second en Islam, son second dans la caverne, son second sous l’auvent le jour de Badr et son second dans le tombeau. Jamais il ne donnait la priorité sur lui à quelqu’un d’autre. »

Quant à l’imam Ash-Shâfi’î, il dit à juste titre :
« Toute la communauté est unanime quant au choix judicieux d’Abû Bakr (ra) au califat, car une fois le Messager de Dieu décédé (saw), il était nécessaire que la communauté choisisse un chef pour diriger ses affaires. À ce titre, on n’a pas trouvé un homme meilleur qu’Abû Bakr, et c’est à lui qu’on a prêté allégeance. » 
(Rapporté par Al-Bayhaqî.)

Il faut dire aussi que la mort du Prophète (saw) fut un véritable choc pour les musulmans. C’est vrai que l’Envoyé de Dieu – du fait de sa mission divine – n’était pas un homme ordinaire, mais il restait tout de même un mortel, comme tous les hommes. Pourtant, l’amour et la vénération qu’avaient les musulmans pour leur Prophète leur avait fait oublier cette vérité.
‘Umar (ra) est allé jusqu’à tirer son épée en disant :
« Le Messager de Dieu n’est pas mort; comme Moïse, il est allé vers son Seigneur, puis il va revenir. Je trancherai la gorge à quiconque dira qu’il est mort. »

Heureusement qu’un homme comme Abû Bakr (ra) sut garder sa lucidité. Grâce à sa grande sagesse, il put arriver à calmer les esprits.

Quand l’Envoyé de Dieu (saw) rendit le dernier soupir, il n’était pas là. Avec la permission de celui-ci, il était parti rendre visite à son épouse qui habitait en dehors de Médine.
Lorsque la nouvelle lui parvint, il revint aussitôt à Médine. Accablé par le chagrin, il entra dans la chambre mortuaire, salua la noble dépouille, l’embrassa sur le front et dit, le visage inondé de larmes : 
« Par mon père et ma mère que je sacrifierais pour toi! Que ton corps sent bon! Vivant ou mort, tu n’as pas changé, il s’exclama ensuite, par le Seigneur de la Ka’ba ! Muhammad (saw) est mort! »
Il partit ensuite à la hâte vers la mosquée où ‘Umar (ra) était en train de menacer toute personne qui oserait prétendre que Muhammad (saw) était mort. On raconte qu’il mit la main sur l’épaule de ‘Umar (ra) et lui dit :
« Patience, ô ‘Umar ! »
Ensuite, il s’adressa aux musulmans réunis en ces termes : 
« Ô peuple! Que ceux d’entre vous qui adoraient Muhammad, sachent que Muhammad (saw) est mort! Quant à ceux qui adorent Dieu, qu’ils sachent que Dieu est vivant et ne meurt pas; ensuite, il récita la parole du Très-Haut :
« Muhammad n’est qu’un Messager des messagers avant lui sont passés – s’il mourait donc., ou s’il était tué, retourneriez-vous sur vos talons? »

(Coran 3 Verset 144)

Ce discours d’Abû Bakr (ra) eut l’effet d’une douche froide pour les musulmans. ‘Umar (ra), abattu, avoua avoir eu l’impression que ce verset venait d’être révélé.

Par une grande sagesse et un sang-froid admirable, Abû Bakr (ra) venait de sauver la cohésion de la communauté, fraîchement scellée. Son charisme exceptionnel lui permit d’assurer la succession du Prophète (saw) sans encombre, tandis qu’un risque de divergence entre les Muhâjirîn – ceux qui ont émigré de la Mecque suite à la demande du Prophète (saw) – et les Ansars – ceux qui ont accueilli les Muhâjirîn chez eux à Médine – sur le droit à cette succession était possible à tout moment.
‘Umar (ra) ne s’est pas trompé en disant : 
« Par Dieu, nous n’avions pas d’autre issue, pour le bien de la communauté, que d’élire Abû Bakr ! »

Pourtant, on rapporte que lui-même avait proposé pour la succession du Prophète, deux hommes non moins illustres : il s’agit de ‘Umar Ibn Al-Khattâb et de ‘Ubayda Ibn Al-Jarrâh (ra), l’homme de confiance de la communauté, comme l’avait surnommé le Messager de Dieu (saw).
Or, un risque de division guettait la communauté, surtout que certains, parmi les Ansars, allèrent jusqu’à proposer l’élection de deux califes, l’un parmi les Muhâjirîn et l’autre parmi les Ansars. Il fallait choisir quelqu’un qui ait un ascendant certain sur la communauté des croyants et qui pouvait se prévaloir d’une aura spirituelle à même de sceller la cohésion des rangs et la communion des esprits. Qui d’autre qu’Abû Bakr (ra) pouvait accomplir ce rôle grandiose?

On rapporte ainsi que lorsque la discussion s’échauffa entre les Muhâjirîn et les Ansars dans la Saqîfa des Banû Sâ’ida, Abû ‘Ubayda (ra) se leva et dit : 
« Ô vous les Ansars, vous avez été les premiers alliés de l’islam, alors ne devenez pas les premiers à vous en détacher et à innover dans la religion de Dieu. »

À ce moment-là, Bashîr Ibn Sâ’ida -le père de Nu’mân Ibn Bashîr, (ra) se leva et dit :
« Ô vous les Ansars ! Si nous avons eu le mérite de nous battre pour la cause de Dieu contre les infidèles, et d’être parmi les premiers à entrer dans l’islam, en vérité, nous ne l’avons fait que pour gagner la satisfaction de Dieu, et par obéissance à notre Messager. Nous avons œuvré pour notre devenir! C’est Dieu seul qui nous a gratifiés de ce bienfait ! Sachez que Muhammad était de Quraysh, et les siens ont plus de droits que vous. Par Dieu, quant à moi, je ne me querellerai jamais avec eux à ce sujet ! Craignez Dieu, et ne vous divisez pas avec eux en leur discutant cette autorité. »

Abû Bakr (ra) se leva alors et dit :
« Voici ‘Umar, et voici Abû ‘Ubayda ! Choisissez celui que vous voulez d’entre eux! »

Mais ils se levèrent et dirent tous deux :
« Non, par Dieu ! Personne d’autre que toi n’a le droit de revendiquer cette succession ! Tu étais le meilleur d’entre les Muhâjirîn, et tu étais l’un des deux dans la caverne en compagnie du Prophète (saw). L’Envoyé de Dieu t’a désigné pour lui succéder dans la direction de la prière, et la prière est le pilier de la religion ! Qui pourra prétendre être capable de diriger les affaires de la communauté, sinon toi ? Tends la main pour que l’on te fasse allégeance. »

À ce moment-là, Bashir Ibn Sa’d se précipita et fit, le premier, son allégeance. Ce faisant, les Ansars firent de même et élièrent Abû Bakr (ra) Calife. Tous prêtèrent allégeance, sauf Sa’d Ibn ‘Ubâda, et les Banû Hâshim, qui étaient en train de préparer les funérailles du Prophète (saw).

C’est ainsi que le fidèle compagnon du Prophète (saw) fut élu à la tête de la communauté. On rapporte qu’il fit, à cette occasion, le discours suivant :
« Ô peuple! J’ai été investi de la charge de la communauté, bien que je ne sois pas le meilleur d’entre vous. Si j’agis bien, aidez-moi, mais si je dévie du droit chemin, corrigez-moi! Le plus faible d’entre vous sera considéré comme puissant par moi, jusqu’à ce que je lui obtienne son droit, et le puissant d’entre vous sera considéré comme faible par moi, jusqu’à ce que je lui arrache le droit qu’il a pris aux autres, et ce, par la volonté de Dieu ! » 

La communauté naissante de l’islam avait trouvé son homme. Après lui avoir assuré son unité et sa cohésion, celui-ci va lui assurer son expansion et son rayonnement. C’est ainsi que dès son accession aux destinées de la communauté, il prît sa première décision politique en maintenant l’expédition militaire, décidée par le Prophète (saw) avant sa mort et confiée à Usama Ibn Zayd (ra).
Cette expédition devait partir en Syrie, mais fut retardée par la maladie, puis la mort du Prophète (saw).
Ceci étant, devant les périls qui commencèrent à menacer la communauté dans son cœur même (Médine), l’expédition d’Usama (ra) devenait inopportune voire inutile. Certains compagnons la contestèrent et en firent part au Calife.

Il est vrai que suite à la mort du Prophète (saw) des remous commencèrent à apparaître au sein de certaines tribus fraîchement converties. On en vint même à refuser la donation de la zakat sous prétexte que le Prophète (saw) étant mort, cet impôt n’avait plus aucune validité. Plus grave encore, des illuminés, tentés par la recherche d’une gloire éphémère et exploitant la crédulité de leurs compatriotes, proclamèrent qu’ils étaient eux-mêmes prophètes et attirèrent vers eux leurs propres tribus. Ces imposteurs, qui avaient pour noms Tulayha, Al-Aswad, Musaylimah et Sajâh, avaient créé un véritable désordre qui risquait de saper les fondements de l’état naissant.

Les compagnons qui contestaient l’expédition, craignaient que les tribus arabes en rébellion n’en profitent pour attaquer l’état central de Médine. Certains d’entre eux mirent aussi en doute les capacités d’Usama (ra), vu son jeune âge, dix-sept ans à peine. Ils demandèrent à Abû Bakr (ra) de le démettre et de le remplacer par un autre plus expérimenté. Il faut signaler, cependant, qu’Usama avait été désigné par le Prophète (saw) avant de mourir et que, de ce fait, le démettre, signifiait pour Abû Bakr, aller contre la volonté du Messager de Dieu.
Et cela, il ne pouvait l’admettre. Il répondit ainsi à ceux qui lui demandaient de démettre Usama : 
« Quel droit ai-je, moi, de renvoyer un homme désigné par l’Envoyé de Dieu ? » 

Abû Bakr (ra) voulait rester fidèle à la mémoire du Prophète (saw). Il ne voulait pas remettre en cause l’une de ses dernières volontés. De plus, il savait l’amour que portait le Messager de Dieu à Usama, le fils de Zayd Ibn Hârithah, son affranchi.

Trois semaines après la mort du Prophète (saw), l’expédition menée par Usama s’ébranla vers la Syrie. Le Calife lui-même l’escorta jusqu’à la sortie de Médine et donna aux soldats les directives suivantes qui dénotent d’un profond esprit chevaleresque et humanitaire. Il leur dit :
« Ne vous comportez pas à la manière des traîtres ! Ne vous adonnez pas aux mutilations à la manière de vos ennemis et ne tuez ni enfant, ni vieillard, ni femme. Évitez d’abattre ou de brûler les palmiers et les arbres fruitiers. Evitez
de tuer les animaux domestiques, sauf pour vous nourrir. Dans votre expédition, vous allez rencontrer des gens qui se sont retirés dans des monastères pour s’adonner à la méditation et au recueillement :
Laissez-les et ne les perturbez pas ! » Il leur dit ensuite : « Partez au Nom de Dieu ! »


Quelques semaines après, l’armée musulmane revint à Médine, victorieuse et auréolée de gloire. Usama son chef, n’avait pas démérité. Il avait montré qu’il avait toutes les qualités d’un stratège. Le succès de son expédition était total. Abû Bakr (ra) pouvait en être fier. Sa décision s’était avérée fructueuse. Sur la lancée, il envoya d’autres expéditions pour mater les quelques tribus turbulentes qui avaient suivi les imposteurs et celles qui refusèrent de donner la zakat, arguant du fait qu’elles avaient l’habitude de la remettre au Prophète (saw) et que, celui-ci, étant mort, elles ne pouvaient la donner à un autre que lui.
Ce à quoi, Abû Bakr (ra) répondit :
« Par Dieu, s’ils refusent de me remettre, ne serait-ce qu’une jeune chamelle qu’ils avaient l’habitude de donner à l’Envoyé de Dieu, je les combattrai jusqu’à ce qu’ils me la donnent ! »

Il faut dire que c’est grâce à cette fermeté du Calife que la cohésion de la communauté put être assurée et que la propagation de l’islam fut relancée. ‘Umar (ra) lui-même, pourtant réputé pour son intransigeance, s’opposa à Abû Bakr sur cette question.
En effet, il lui dit :
« Comment peux-tu combattre ces gens, alors que le Messager de Dieu a dit : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils témoignent qu’il n’y a d’autre divinité que Dieu, l’unique, et que Muhammad est Son Messager. S’ils attestent ce pourquoi je suis venu, ils seront, à mon égard, garantis quant à leurs personnes et à leurs richesses, à moins qu’ils ne transgressent les prescriptions de l’islam (ouvertement). Il appartient à Dieu de leur demander compte de leurs actions. » » 
Mais Abû Bakr (ra) lui répondit :
« Par Dieu, je combattrai toute personne qui fera un clivage entre la prière et la zakat, car la zakat est une prescription à laquelle ils ont manqué dans leurs richesses. » 
‘Umar (ra) a fini par dire :
« C’est à ce moment-là que Dieu ouvrit mon cœur au sens véritable de ce problème, comme il a guidé Abû Bakr à le comprendre et j’ai acquis dès lors la conviction que cette décision qu’a prise Abû Bakr était la plus conforme à l’islam! »

C’est ainsi que le successeur du Prophète (saw) décida de sévir contre les tribus récalcitrantes en envoyant contre elles les meilleurs généraux de l’armée musulmane. Les instructions étaient claires : rappeler aux gens les cinq obligations de l’islam. L’enjeu était important. Si le mouvement de rébellion ou, comme l’ont appelé les historiens, la guerre d’apostasie, avait été laissé sans susciter de réaction, il aurait contaminé toutes les tribus fraîchement islamisées.

L’état central de Médine aurait été, à brève échéance, menacé, et la propagation de l’islam compromise. C’est pourquoi, il a décidé d’agir très vite et avec fermeté afin de décourager toute tentative qui mettrait en cause l’unité et la stabilité de la communauté. Il faut dire que beaucoup de tribus de la péninsule arabe n’étaient pas encore bien ancrées dans l’islam bien qu’elles aient adopté ses rites cultuels. C’est à ces tribus-là, d’ailleurs, que fait allusion le Coran dans un des versets :
« Les bédouins ont dit : « Nous avons la foi. » Vous n’avez pas la foi. Dites plutôt :
« Nous nous sommes simplement soumis », car la foi n’a pas encore pénétré dans vos cœurs.»
(Coran 49 Verset 24)


D’autres tribus, par contre, ne s’étaient pas converties à l’islam, mais avaient simplement signé des traités avec le Prophète, qu’elles se sont empressées de violer dès la mort du Messager de Dieu, pour se mettre en état de rébellion contre son successeur. Abû Bakr (ra) ne pouvait, sans risquer de mettre en danger le devenir de la communauté, laisser ce mouvement prendre de l’ampleur, d’autant plus que les imposteurs à l’image d’un Musaylimah ou d’une Sajâh qui avaient entraîné avec eux leurs tribus, pouvaient, grisés par leur succès et par le laxisme du Calife, aiguiser leurs ambitions.

Abû Bakr (ra) n’était pas homme à confondre pondération avec laxisme ! Il réagit promptement et avec fermeté en mettant fin au désordre avant qu’il ne se propage. En quelques semaines seulement, ses généraux parmi lesquels se trouvaient les célèbres Khâlid Ibn Al-Walîd, ‘Ikrima Ibn Abî Jahl, ‘Amr Ibn Al-‘Âs… (ra) purent mater la rébellion et redonner à la communauté son unité et sa stabilité.

Abû Bakr (ra) pouvait se consacrer maintenant à l’idéal auquel il comptait tellement. Il s’agissait de la propagation du message de Muhammad (saw) conformément à la parole du Très-Haut :
« Nous ne t’avons envoyé que par miséricorde pour l’humanité. »
(Coran 21 Verset 107)

 
Le fait, dès qu’il put mettre fin au désordre suscité par la rébellion des tribus ayant suivi les imposteurs prétendant à la prophétie, Abû Bakr (ra) se consacra à la propagation de l’islam aux quatre coins du monde. Il inaugura alors l’épopée des conquêtes que ses successeurs poursuivront avec une rapidité jamais égalée dans l’histoire de l’humanité. Il faut préciser, toutefois, que le mot « conquête » ne veut nullement dire ici, colonisation ou invasion, dans le sens où l’entendent certains orientalistes.

Les conquêtes de l’islam ne sont pas des conquêtes de territoires ou de richesses terrestres, loin s’en faut, ce sont des conquêtes de cœurs et d’âmes. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, on n’a vu des conquêtes se dérouler aussi pacifiquement et aussi correctement que celle des musulmans. Ceux-ci avaient le souci de répondre à la prescription coranique :
« Pas de contrainte en matière de religion. »
(Coran 2  Verset 256)


Ce verset sera le leitmotiv des musulmans, partout où ils mettront les pieds. En effet, dans toutes les contrées où ils pénétrèrent, ils respectèrent les croyances des habitants et ne songèrent nullement à les convertir par la force et la contrainte. Bien mieux, ils laissèrent à leurs sujets non musulmans, leurs églises, temples, synagogues et ne s’immiscèrent jamais dans leurs affaires privées. Cet esprit de tolérance érigé en politique d’état devait permettre à l’islam de gagner des territoires immenses en l’espace de quelques années. Déjà, sous le règne d’Abû Bakr (ra), l’avancée du message du Prophète (saw) était impressionnante.

Ainsi, après avoir rétabli la situation au sein des tribus du Yémen et du Bahreïn, Khâlid Ibn Al-Walîd (ra), le prestigieux stratège, se dirigea, sur les ordres du Calife, vers l’Irak qui faisait alors partie du fabuleux empire perse, arrivé au stade de sa décadence.

En compagnie d’Al-Muthanna Ibn Al-Hârith (ra), qui l’avait précédé sur les frontières perses, il prit la ville de Sirâ, après avoir défait le commandant de sa garnison à ‘Ullays, l’ancien Vologesias.
Poursuivant son avancée fulgurante, il prit Madsar Waladja, remportant ainsi victoire sur victoire. L’Irak ne tarda pas à être conquise par la foi de l’islam après la prise de Bassorah, Hirâ, Sawâd.
Au même moment, deux armées commandées l’une par ‘Amr Ibn Al-‘Âs (ra), l’autre par Abû ‘Ubayda et Shurahbil Ibn Hassana (ra), prirent le chemin de la Syrie. La première pénétra en Palestine sud orientale, tandis que la seconde entra sur le territoire de l’ancien Mu’ab.
Khâlid (ra) qui venait d’achever sa conquête de l’Irak, vint à la rescousse des armées musulmanes avec une cavalerie d’élite. II prit le commandement et mena les musulmans à la grande victoire d’Al-Yarmûk qui leur ouvrit, grandes, les portes de la Syrie.

La propagation de l’islam à travers le monde venait de commencer. Elle fut fulgurante et étonna tous les historiens qui y virent là un fait unique dans l’histoire de l’humanité. C’est que, comme nous l’avons dit, les armées musulmanes ont toujours fait preuve de tolérance en cherchant à gagner les cœurs et non les terres. Ce n’est pas sans raison que le patriarche de Jérusalem écrit au IXè siècle, à celui de Constantinople : 
« Ils sont équitables, ne nous font aucun tort et ne se livrent à aucun acte de violence contre nous. »

Abû Bakr (ra) eut le grand honneur d’inaugurer cette série de conquêtes qui portèrent très loin l’emblème de l’islam et que ses successeurs poursuivront avec plus de succès encore. Son Califat, fut certes bref, mais les réalisations qu’il accomplit, furent nombreuses et grandioses.

En plus des conquêtes de l’Irak et de la Syrie qu’il eut l’honneur d’inaugurer, on doit à Abû Bakr (ra) de nombreuses réalisations qui feront date dans l’histoire de l’islam. C’est ainsi, nous dit Suyûti, qu’il fut le premier à mettre sur pied l’institution du bayt al-mâl le trésor public. Il fut aussi le premier à mettre en œuvre le registre de donations ; il agissait avec équité en donnant de la même manière à l’esclave et à l’homme libre, la même valeur à l’homme et à la femme, aux adultes et aux petits.

Le bayt al-mâl servait à payer les fonctionnaires de l’état, à approvisionner les soldats lors des expéditions et à venir en aide aux plus démunis. Il était alimenté, en grande partie, par les revenus de la zakat et par le un cinquième du butin.

C’est à lui, aussi, qu’incomba, le premier, le soin de mettre en place les rouages de l’administration. En effet, il prit à son service des secrétaires qui notaient ses directives et il institua même un cachet pour authentifier ses messages, sur lequel était gravé : Dieu est certes le plus capable. En outre, lorsqu’il voulait prendre des décisions importantes qui engageaient l’état, il consultait toujours les plus proches compagnons du Prophète (saw), entre autres, ‘Umar, ‘Ali, ‘Uthman, Sa’d Ibn Abî Waqqâs, Sa’îd Ibn Zayd, etc.(ra)

Toutefois, l’acte qui lui valut le plus la reconnaissance de la communauté musulmane, fut, sans conteste, l’assemblage du Coran en une seule copie autour de laquelle l’ensemble de la communauté a fait l’unanimité jusqu’à nos jours. 

La décision d’assembler la parole de Dieu et de la transcrire, a été prise suite à la disparition de dizaines de compagnons huffâz – ceux qui connaissent par cœur le Coran – tombés en martyrs dans la bataille contre l’imposteur Musaylimah. Certes, les versets étaient déjà transcrits sur des parchemins, des omoplates de chameaux, mais on craignait que le temps ne finisse par corrompre ce qui a été transcrit.
Avec la disparition massive des huffâz, Abû Bakr (ra) décida d’agir à la demande de ‘Umar (ra). Il convoqua, à cet effet, le célèbre compagnon Zayd Ibn Thâbit (ra), et le chargea de faire ce colossal mais noble travail. Laissons Zayd (ra) nous raconter, lui-même, cette invitation du Calife, tel que nous le rapporte Al- Boukhâri :
« Quand je me suis présenté devant le calife, j’y ai trouvé ‘Umar Ibn Al-Khattâb (raà. Abû Bakr (ra) me dit : Beaucoup de huffâz, ont été tués le jour d’Al-Yamamah, et je crains que cela ne se produise dans d’autres lieux où les musulmans combattent. Les huffâz qui sont nombreux parmi ces combattants, en disparaissant, emporteraient avec eux une partie du Coran qu’ils mémorisent. C’est pour cela, que j’ai perçu la nécessité d’assembler le Saint Coran et de le réécrire afin qu’il soit conservé. À ‘Umar qui m’a suggéré cette proposition, j’ai demandé comment ferai-je ce que le Prophète (saw) n’a pas fait. »
Il me dit : « Par Dieu, je jure qu’il est préférable de procéder à son assemblage! » Cela dit, il insista tellement pour me convaincre, jusqu’à ce que Dieu m’inspira la nécessité d’un tel travail. J’ai fini donc par accepter la proposition de ‘Umar. »
Zayd (ra) continua :
« Abû Bakr (ra) me dit alors : Tu es un homme jeune et plein de sagesse. De plus, nous avons confiance en toi, sachant que tu as fait partie des scribes qui écrivaient la révélation sous la dictée du Prophète. Je pense donc que personne n’est mieux placé que toi pour mener à bien cette tâche. »
Zayd (ra) dit : 
« Par Dieu, la tâche qu’il m’avait chargée d’accomplir, était plus difficile pour moi que s’il m’avait demandé de déplacer les montagnes ! J’ai commencé alors à assembler les textes du Coran qui étaient transcrits sur divers matériaux, et je me suis adressé aux différents huffâz, parmi les compagnons, afin de trouver les deux versets qui me manquaient de la sourate At-Tawba (Le repentir). Après les avoir trouvés chez Khuzayma Ibn Thâbit (ra), j’ai transmis la totalité des manuscrits au Calife qui les conserva jusqu’à sa mort. Ils furent ensuite conservés chez Hafsa (ra), la fille de ‘Umar (ra) et épouse du Prophète (saw).
(Voir l’Article sur la Compilation du Coran a l’époque de Abu Bakr)

Ainsi, grâce à Abû Bakr (ra), le Coran put être assemblé et conservé intact jusqu’à la fin des temps. La postérité lui en saura gré pour cet acte des plus sacrés. Ce fut, en tout état de cause, le dernier acte qu’il accomplit au service de la communauté. La maladie devait l’emporter quelque temps après, au moment où l’islam avait tant besoin de sa sagesse et de son dévouement.
 Même devant la mort, il fit preuve d’une sagesse et d’une humilité exemplaire. À sa fille ‘Âïsha (ra) qui se lamentait en le voyant agoniser, il dit :
« Ne sois pas dans cet état. Récite plutôt la parole du Très-Haut » :
« L’agonie de la mort fait apparaître la vérité : Voilà ce dont tu t’écartais. »
(Coran 50  Verset 19)
Il ajouta ensuite :
« Prenez ces deux tissus, lavez-les et utilisez-les pour me couvrir comme linceul; car les vivants ont plus besoin de tissu neuf que le défunt! »

En voyant que leur calife était sur le point de rendre l’âme, les musulmans lui demandèrent de leur désigner un successeur qui puisse assurer la cohésion de la communauté et la bonne marche de l’état. C’est ‘Umar Ibn Al-Khattâb (ra) qu’il leur désigna, après avoir demandé l’avis des plus proches compagnons comme ‘Abd Ar-Rahmân Ibn ‘Awf, ‘Uthman, Sa’îd Ibn Zayd etc.(ra)

Son choix étant fait, il sortit auprès des compagnons, appuyé sur sa femme Asmâ Bint ‘Umays (ra) et leur annonça le nom de son successeur, les motivations de son choix, en leur recommandant obéissance et soutien. Ils répondirent : 
« Nous avons entendu et nous obéirons. »

Il convoqua ensuite ‘Umar (ra) et lui donna les conseils nécessaires pour diriger avec justice et équité la communauté du Prophète (saw). Tranquillisé, il pouvait alors rejoindre le Messager de Dieu, son plus intime compagnon.
Sa dernière volonté fut d’être lavé par son épouse Asmâ Bint ‘Umays (ra) et d’être enterré à côté du Prophète (saw). Ses dernières paroles furent : 
« Seigneur, fais-moi mourir musulman et fais-en sorte que je rejoigne le rang des pieux. »

Après que ‘Umar (ra) eut dirigé la prière des morts sur la dépouille, on l’enterra à côté de la tombe du Prophète (saw) dans sa chambre personnelle. Ainsi s’acheva le règne si éphémère – deux ans et quelques mois seulement- mais ô combien riche d’Abû Bakr (ra). Riche, dans la mesure où, en si peu de temps, et dans une conjoncture très difficile, il put surmonter les périls qui menaçaient la communauté nouvellement bâtie par le Prophète (saw) et préserver la cohésion des tribus arabes unies pour la première fois dans l’histoire autour d’une foi commune.

Allant plus loin encore, il inaugura avec succès la série des conquêtes de l’islam qui permirent à la foi islamique de s’établir aux quatre coins du monde. Son assemblage du Saint Coran en un seul volume est aussi une œuvre admirable qui lui vaudra l’estime éternelle des musulmans. Cet homme aux grandes qualités de chef d’état savait aussi rester un homme ordinaire et modeste. 

Comment aurait-il pu en être autrement alors qu’il était un pur produit de l’école du Prophète (saw)?
On rapporte qu’étant Calife, il n’hésitait pas à aider une domestique à traire sa chèvre. Quant à sa piété, sa foi et sa vertu, il suffit de dire que le Prophète (saw) lui-même a reconnu ces qualités pour reconnaître la valeur de cet homme hors du commun. En effet, d’après Suleyman Ibn Yâsir (ra), l’Envoyé de Dieu (saw) a dit un jour :
« Dans le croyant, il y a trois cent soixante qualités. Celui en qui se manifeste une de ces qualités, entrera au Paradis. »
Abû Bakr (ra) qui était présent dit : « Ô toi qui m’est plus cher que mon père et ma mère, y a-t-il une de ces qualités en moi ? »
Le Prophète (saw) répondit : « Elles sont toutes en toi! »

Ce fut aussi un grand sage qui laissa des maximes admirables sur le bon comportement dans la vie. Il a dit, entre autres : 
« Que Dieu bénisse un homme qui s’est mis tout entier au service de son frère. » 
« Cherche à te corriger: les gens seront amenés à être corrects avec toi. » 
« La sagesse la meilleure est de craindre Dieu. La bêtise la plus grave est de lui désobéir; la vérité la plus évidente est de préserver le dépôt qu’on vous a confié (al-amâna) et le plus grave mensonge, c’est la traîtrise! »

On rapporte au sujet d’Abû Bakr (ra) plusieurs cas de thaumaturgie comme la clairvoyance et le don de multiplier la nourriture. Ses jugements aussi étaient justes et sages.
Il en a donné la preuve en choisissant pour sa succession ‘Umar Ibn Al-Khattâb (ra).
Avec lui, en effet va s’ouvrir l’une des pages glorieuses de l’islam

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