Le Prophète de L'Islam

Histoire Détaillé de La Bataille de Badr


Louange à Allah, que la prière et le salut soient sur son prophète Mohamed sur sa famille et sur tous ceux qui le suivent jusqu’au jour de la résurrection.


Dans la seconde année de l’hégire, le premier jour du mois de ramadan, le Prophète fut averti qu’une caravane mecquoise, chargée de nombreuses marchandises, venait de Syrie sous la conduite d’Abou Sofyân fils de ‘Harb, d’‘Amrou fils d’‘Âç, et d’autres personnages considérables de la Mecque.

Dans le livre des Expéditions il est dit qu’ils étaient en tout soixante et dix personnes. Cette nouvelle fut apportée au Prophète par Gabriel, qui lui dit :

« Pars à la recherche de la caravane; elle passera près des puits de Badr, elle ne peut pas éviter de passer par cet endroit. »

Le Prophète fit réunir ses compagnons et donna l’ordre de partir dans le temps même du jeûne. Dieu m’a promis, leur dit-il, de me livrer leurs biens, de glorifier ma religion et de nous rendre maitres de leurs personnes. Il ne leur dit point :

« Nous prendrons la caravane. »

Mais les hommes pensèrent qu’ils la prendraient et qu’ils n’auraient pas de grands efforts à faire. Soixante-dix hommes partirent en toute hâte. Le lendemain, le Prophète, après avoir établi comme son lieutenant à Médine Abou-Lohâha, fils d’Abdoul Moundsir, partit lui-même avec trois cent seize hommes.

D’après une autre version, il n’avait avec lui que trois cent treize hommes, ou, d’après une autres plus exacte, trois cent quatorze hommes. Ils partirent précipitamment, sans prendre leur armement complet. Deux d’entre eux avaient des chevaux, soixante et dix étaient montés sur des chameaux, les autres étaient à pied.

Le Prophète montait sa chamelle nommée ‘Adhbâ, ainsi appelée parce qu’on lui avait fendu les oreilles. Ces troupes étaient composées de soixante dix-huit Mohajirs et de deux cent trente-six Ansars. Parmi les Mohajirs, il y avait Abou Bakr, ‘Omar fils d‘Al Khattâb, ‘Ali fils d‘Abou Talib, et ‘Othman fils d’Affan.

La femme d‘Othman, Ruqayyah, fille du Prophète, était très-malade. Le Prophète ordonna à ‘Othman de s’en retourner, à cause de la maladie de sa femme. Le chef des Ansars était Sa‘d fils de Mo‘âds, qui était chef de tous les Khazradj. Tous étaient d’avis qu’ils étaient assez nombreux pour attaquer la caravane, et le Prophète n’emmena pas un plus grand nombre d’hommes.

Arrivé à la première étape, le Prophète passa ses troupes en revue. Il renvoya cinq hommes comme étant trop jeunes, a savoir : ‘Abdallah, fils d’‘Amrou; Râfi‘ fils de Khodaïdj; Zaîd fils de Thâbit; Osaïd fils de Zhahir, et ‘Amrou fils d’Abou—Waqqâç.

‘Amrou pria Sa‘d fils d‘Abou Waqqâç, d‘intervenir auprès de Mohammed, pour qu’il l’emmenât avec lui. Les quatre autres durent s’en retourner. Ensuite le Prophète marcha en toute hâte sur Badr, pour couper le chemin à Abou-Sofyân. Arrivé à la seconde station, il fut informé que la caravane n’était pas encore passée. Il fit halte, en s’écartant de la route, afin de ne pas être aperçu par la caravane, quand elle viendrait, et pour qu’elle ne prit pas la fuite.

Gabriel vint annoncer au Prophète que Dieu l’assisterait de toutes manières dans son entreprise.

Ensuite Mohammed dépêcha deux des principaux Mohajirs : Tal‘hâ fils d’Obaïdallah, et Sa‘d fils de Zaïd fils de Naufal. Montés sur des chameaux, ils furent envoyés dans le désert, pour épier la marche d’Abou-Sofyân. Ces deux hommes s’égarèrent dans le désert et ne revinrent pas pour prendre part au combat de Badr. Le Prophète fit partir deux autres Mohajirs, également montés sur des chameaux, l’un nommé Basbas. fils d’Amrou, le Djohaïnite; l’antre, ‘Adi, fils d’Abou Zaghhâ, le Djohaïnite. Il leur ordonna de se rendre auprès des puits de

Badr et d’y prendre des informations sur la marche de la caravane.

Les Arabes, dans le désert, ont la coutume, quand une caravane vient faire halte près d’un puits ou à une station, d’y apporter des provisions et des vivres, pour les vendre aux gens de la caravane, et de faire avec eux des affaires, en vendant et en achetant. Arrivés près de Badr, les deux Djohaïnite y virent un homme qui avait apporté des provisions et qui les avait déposées là, en attendant la caravane. Ils s’approchèrent du puits, firent coucher leurs chameaux, et vinrent pour interroger cet homme. Alors ils aperçurent deux femmes qui s’adressaient réciproquement des réclamations. L’une disait à l’autre :

« Rends-moi l’argent que tu me dois. »
L’autre répondait : « Demain la caravane arrivera près de ce puits, je vendrai quelque chose et te rendrai ton argent. »

Les deux émissaires, en entendant ces paroles, ne dirent rien, remplirent d’eau leurs entres, montèrent sur leurs chameaux, partirent et vinrent avertir le Prophète.

Ils n’eurent pas plus tôt quitté le puits, qu’Abou-Sofyân et ‘Amrou fils d’Aç y arrivèrent, seuls de leur caravane.

Abou-Sofyân, en passant sur le territoire de Yathrib, s’était enquis des mouvements du Prophète et de ses compagnons.

S’étant avancé encore de deux étapes, il avait quitté la caravane en disant à ses gens :

« Restez ici, j’irai au puits de Badr pour m’enquérir si quelqu’un de Yathrib, des compagnons de Mohammed, est à la recherche de notre caravane. »

Abou Sofyân et ‘Amrou fils d’Âç, vinrent donc à Badr, donnèrent de l’eau à leurs chameaux, burent eux-mêmes, remplirent leurs autres et questionnèrent l’homme qui était assis près du puits.

Interrogé par eux sur son nom et sur le nom de sa tribu, il leur dit qu’il s’appelait Medjdî, fils d’Amrou, de la tribu de Djohaîna.

Abou Sofyân lui demanda ensuite :

« As-tu quelques renseignements sur les brigands de Yathrib? Est-ce que quelqu’un d’entre eux est venu à ce puits avant nous? »
Medjdî répondit:
« Tout à l’heure deux hommes y sont venus, ont bu, ont abreuvé leurs chameaux, sont remontés sur leurs montures et sont repartis. »
« Ne t’ont-ils rien dit? » demanda Abou Sofyân.
« Non. »

Abou Sofyân demanda ensuite à quel endroit les chameaux étaient restés. S’y étant rendu, il trouva leur crottin; en prenant un peu, il l’éparpilla. Des noyaux de dattes en sortirent. Il dit à ‘Amrou fils d’Âç:

« Ces hommes étaient de Médine; Mohammed est sur nos traces, lui ou des gens envoyés par lui. »
« Comment le sais-tu? » lui demanda ‘Amrou.
Abou Sofyân dit: « Les gens de Médine, seuls dans le ‘Hedjaz, donnent à manger aux chameaux des noyaux de dattes. »

Ils remontèrent ensuite sur leurs chameaux et revinrent à l’endroit où était leur caravane, à deux étapes de Badr.

Abou-Sofyân engagea immédiatement un homme nommé Dhamdham, fils d’Amrou, de la tribu de Ghifâr, qui possédait un chameau très rapide, et le dépêcha à la Mecque.

Cet homme promit de s’y rendre en trois jours, quoique la caravane en fût éloignée de six journées de marche. Abou Sofyân lui recommanda, quand il entrerait dans la ville, de crier au secours.

Il lui dit :

« Rends-toi sur le mont Abou Qobaîs, et crie, de façon à être entendu de tous les habitants de la Mecque, que tu es parti, envoyé par moi, de telle station, pour leur annoncer que Mohammed et les brigands de Médine sont sur mon chemin, et que, s’ils tiennent à leurs biens, ils arrivent sinon, qu’ils ne trouveront plus rien. »

Dhamdham partit, la caravane restant à la distance de deux étapes de Badr, de même que le Prophète, qui l’attendait à son passage près des puits. Avant l’arrivée de Dhamdham à la Mecque, ‘Âtika, fille d’Abdoul Muttalib et tante du Prophète, fit un rêve. Il lui sembla voir un homme monté sur un chameau arriver à la Mecque, s’arrêter dans la vallée et s’écrier :

« Habitants de la Mecque, n’allez pas, car on vous tuerait; quiconque y ira n’en reviendra pas! »

Il s’avança, toujours monté sur son chameau, vint sur la terrasse de la Ka‘ba et répéta son cri. Ensuite il lança du sommet du mont Abou Qobaïs une pierre qui coula en bas et se brisa en plusieurs morceaux, qui atteignirent toutes les maisons de la ville.

Au matin, ‘Âtika raconta son rêve à ‘Abbas fils d’Abdoul Muttalib. Celui-ci, effrayé, dit à sa sœur :

« Ce songe est fort triste; tous les habitants de la Mecque doivent craindre d’être atteints par un grand malheur. Garde le secret, et ne raconte ton rêve à personne; je verrai ce qu’il y aura à faire. »

Abbâs sortit très soucieux et alla pour faire ses tournées autour du temple. Il y rencontra ‘Otba fils de Rabî‘a, qui était son ami, et alla s’asseoir auprès de lui. ‘Otba lui dit:

« Que t’est-il arrivé, ta figure est altérée? »
« Bien », dit ‘Abbâs. « Si, il t’est arrivé quelque chose » reprit ‘Otba; et il insista.
Abbâs lui dit: « Il ne faut pas qu’on le sache. »
« On ne le saura pas », répliqua ‘Otba.

Alors ‘Abbâs lui raconte le rêve qu’avait fait ‘Âtika.

‘Otba, en sortant du temple, rencontra Abou Jahl et lui fit part de ce récit. Abou Jahl dit :

« Ne t’en préoccupe pas; les Beni Hâshim sont tous menteurs, hommes et femmes. Délivrés des mensonges de Mohammed, nous tombons maintenant dans ceux des femmes des Beni Hâshim. »

Le lendemain, dans le temple, il aborda ‘Abbâs et lui dit:

« Qu’est-ce que ce rêve d’Âtika, dans lequel tu rapportes qu’elle aurait vu telle et telle chose? »
‘Abbâs répondit : « Je n’en ai aucune connaissance. »
« Si, tu le connais », dit Ahou Jahl;
« on me l’a rapporté comme venant de toi. Si ce rêve ne se réalise pas, nous écrirons sur une feuille, que nous suspendrons à la porte de la Ka‘ba, que dans le monde entier il n’y a pas de plus grands menteurs, tant parmi les hommes que parmi les femmes, que les Beni Hâshim, afin que votre imposture soit connue de tous les Arabes. »

‘Abbâs, qui était un homme réservé et endurant, quitta la réunion et revint à la maison.

Abou Jahl et tous les autres racontèrent le fait chez eux, à leurs femmes. ‘Âtika fut informée des paroles qu’Abou Jahl avait adressées à ‘Abbâs. Le soir, ‘Âtika et les autres filles d’Abdoul Muttalib et toutes les femmes des Beni Hâshim vinrent chez ‘Abbâs et lui dirent :

« Pourquoi laisses-tu Abou Jahl tenir des propos sur les femmes des Beni Hâshim et sur les filles d’Abdoul Muttalib, en la présence, sans lui répondre et sans rien dire? Il dit que tous les hommes et toutes les femmes des Beni Hâshim sont des menteurs. Jusqu’à quand supportera-tu cela? S’il fait cet écrit, il déshonorera les Beni Hâshim parmi les Arabes. Si tu ne veux rien lui dire, autorise-nous à aller trouver Abou Jahl pour répliquer aux paroles qu’il a dites. Nous n’avons pas voulu le faire sans ta permission; car tu es aujourd’hui à la tête des Beni Hâshim, et nous n’avons pas voulu te manquer de respect. »
‘Abbas dit :
« Il n‘osent pas faire cet écrit. S’il m’en dit encore quelque chose, je lui répondrai. Rentrez chez vous. »

Le lendemain, ‘Abbas vint au temple et alla s’asseoir à sa place. Les Qorayshites avaient pris place, chacun dans un cercle. Tout à coup des cris se firent entendre dans la vallée, et tous se précipitèrent hors de la ville dans la direction de la voix. Pendant ce temps, ‘Abbas accomplissait ses tournées autour du temple. Ces cris étaient poussés par Dhamdham, qui était arrivé et qui fit comme Abou Sofyân le lui avait ordonné. Il alla au haut du mont Abou Qobai‘s, et cria de façon à être entendu de tous les habitants. Ceux-ci furent stupéfaits; car il n’y avait pas un seul chef de famille qui n‘eût dans la caravane un capital.

Abou Jahl, ‘Otba et les principaux Qorayshites firent proclamer une levée générale. On fit en deux jours les préparatifs de guerre et l’on partit le troisième jour. Tous les chefs et grands personnages de la Mecque prirent part à l’expédition, ou envoyèrent des hommes à leur place, sauf la tribu des Beni-‘Adî fils de Ka‘b, qui étaient des personnages considérables et n’étaient pas soumis à Abou Jahl et à ‘Otba; en outre, ils n‘avaient pas de marchandises dans la caravane.

‘Abbâs ne voulut pas partir avec l’armée; mais Abou Jahl, dans le temple, lança contre lui des reproches, en disant :

« Nous savons que toi et les autres Beni Hâshim, vous tenez à Mohammed; vous êtes ses espions dans le temple. Mais si nous revenons victorieux de cette guerre, nous expulserons tous les Beni Hâshim de la Mecque. »

Les autres Qorayshites tenaient à ‘Abbâs le même langage. ‘Abbâs répliqua :

« Je suis vieux, et ne suis pas propre pour la guerre; mais j’enverrai mes fils »

‘Abbâs avait quatre fils : Fadhl, ‘Abdallah, Qotham et ‘Obaïdallah.

Les Qorayshites dirent:

« C’est bien d‘envoyer les quatre fils, mais il faut que tu viennes aussi. »
« Je partirai », dit ‘Abbâs.

Il prit cette résolution malgré lui et fit ses préparatifs. Ses fils voulurent l‘accompagner; mais il ne le permit pas et partit avec un de ses esclaves. Ses neveux vinrent le trouver et lui dirent :

« Tu es un homme âgé, nous ne te laisserons pas partir seul; nous irons avec toi. »

‘Abbâs s’y opposa; mais ceux-là savaient qu‘il parlait ainsi par haine des Qorayshites et par dépit d’être contraint de partir. Trois de ses neveux allèrent donc avec lui, a savoir : Tâlib et ‘Aqil fils d‘Abou Talib, et Naufal fils de ‘Hârith.

Omayya, fils de Khalaf, de la tribu de Djouma‘h, ne voulut pas prendre part à l’expédition, à cause de son âge avancé.

Il avait deux fils, Safwân et ‘Abdallah; il fit partir ce dernier, le plus jeune des deux. Il avait aussi un ami, nommé ‘Oqba, fils d’Abou Mo‘aït, le même qui avait craché à la figure du Prophète. Abou Jahl chargea ‘Oqba de déterminer Omayya au départ; car, dit-il, nous ne pouvons pas le laisser ici; il jouit d’une grande considération; s’il reste, personne ne voudra quitter la Mecque. ‘Oqba vint trouver Omayya, qui était assis dans le temple au milieu d‘une troupe de Qorayshites, et lui dit :

« Ne veux-tu pas venir avec tous ces gens? »
« Vous êtes assez nombreux », répondit Omayya.
Oqba dit : « Viens par amour pour moi. Moi, j’ai craché à la figure de Mohammed parce que tu l’as voulu; il est juste que tu fasses ma volonté, en venant avec nous. »
Omayya répliqua : « Je suis vieux, j’envoie mon fils, qui est jeune. »
Oqba dit : « Tu n’es pas plus vieux qu’Abbâs, qui est l’oncle de Mohammed et qui cependant vient avec nous; n’as-tu pas honte de refuser de partir? »

Mais Omayya persista dans son refus, malgré les instances d’Oqba. Alors celui-ci envoya chercher dans sa maison une cassolette, dans laquelle il fit mettre du feu et du bois d’aloès, et la plaça sous le vêtement d’Omayya, puis il apporta un fuseau et le plaça à côté de lui. « Que signifie cela? » demanda Omayya.

Oqba dit : « Comme tu n’oses pas aller à la guerre, fais ce que font les femmes : parfume-toi avec ce bois d’aloès, et reste assis à filer. »

Omayya fut très affecté et très-honteux de ces paroles. Il jeta la cassolette et le fuseau sur ‘Oqba, et lui lança des injures. Puis il se leva, fit ses préparatifs et partit, lui et son fils, avec l‘armée.

Abou Lahab, fils d’Abdoul Muttalib, étant fort malade, ne pouvait pas se joindre à l‘armée. Il avait une créance de quatre mille dirhems sur un homme considérable de la tribu de Makhzoum, nommé ‘Âç, fils de Hischâm, fils de Moghaïra.

‘Âç envoyait à l’armée un remplaçant. Abou Lahab lui dit :

« Si tu pars toi-même à ma place, je te fais remise de ces quatre mille dirhems. »

‘Âç partit de sa personne avec une troupe des Beni Makhzoum, des gens de sa famille et de ses affranchis.

Le troisième jour après l’arrivée de Dhamdham, mille hommes sortirent de la Mecque, piétons et cavaliers, montés sur des chevaux arabes et sur des chameaux de course, tous complétement armés. A la porte de la ville, Abou Jahl inscrivit les noms de tous les hommes qui composaient l’armée.

Tous étaient pleins de joie et dirent :

« Mohammed pense qu’il en sera d’Abou Sofyân comme d’Amrou ben Al ‘Hadhramî, dont la caravane venant de Taïf, chargée de quelques fruits, de dattes et de raisin, et escortée de quatre hommes, a été enlevée, et lui-même tué par les quelques hommes envoyés par Mohammed. Nous lui montrerons aujourd’hui comment nous protégeons nos biens et notre religion, et comment nous arracherons les hommes de ses mains. »

Ils emmenèrent avec eux le frère d’Amrou ben Al ‘Hadhrami, et lui dirent :

« Nous allons venger la mort de ton frère, nous allons tuer celui qui a accompli le meurtre et celui qui l’a ordonné… »

Ni Abou Sofyân, ni le Prophète ne savaient que l’armée qorayshite s’était mise en campagne. Le Prophète, après le retour des deux Djohaïnites, qui lui avaient annoncé que la caravane devait arriver le lendemain à Badr, s‘était mis en mouvement et s’était rapproché de Badr à la distance d’une étape. Il rencontra sur sa route un village, une station des caravanes, nommée Çafrâ, située entre deux montagnes. Il demanda le nom du bourg, et ensuite les noms des deux montagnes; on lui répondit que l’une s’appelait Mousli‘h, et l‘autre Moukhrî. On lui dit aussi, sur sa demande, le nom des Arabes qui habitaient cet endroit; c‘étaient deux branches de la tribu de Ghifâr, les Beni-en-När et les Beni-‘Horâq.

Le Prophète trouva ces noms de mauvais augure et ne s’arrêta pas à cet endroit. Il passa entre les deux montagnes, prit sur la droite et vint à un lieu nommé Dsafirân, à une étape de Badr.

C‘est là qu‘il attendit l’arrivée de la caravane d’Abou Sofyân.

Abou-Sofyân, après être revenu avec ‘Amrou, fils d’Âç, de son excursion à Badr, et après avoir fait partir Dhamdham pour la Mecque, demeura encore trois jours au même endroit.

Ensuite il dit à ‘Amrou, fils d’Âç :

« Pourquoi rester ici? Mohammed est plus près de nous que les gens de la Mecque; avant que ceux-ci arrivent, il peut se passer beaucoup de choses. Conduisons la caravane loin d’ici, en quittant la route, pour nous rapprocher chaque jour de la Mecque, et nous éloigner de Mohammed. »

En conséquence, Abou Sofyân partit avec la caravane, en évitant la route, laissa les puits de Badr à sa gauche et se dirigea vers le bord de la mer; puis, en longeant la côte, il prit la route de la Mecque, vers Djeddah, chemin plus long de cinq journées de marche.

Après avoir voyagé pendant cinq jours, la caravane fut en sûreté sur le territoire de la Mecque, à trois journées de distance de la ville. Là elle apprit le départ de l’armée mecquoise, qui avait passé la veille par cet endroit, se dirigeant vers Badr, pour attaquer Mohammed.

Les gens de Médine n’étaient informés ni de la marche de la caravane, ni de l’arrivée d’une armée de la Mecque. Le Prophète se trouvait toujours à Dsafirân , guettant la caravane.

Alors Gabriel vint lui annoncer qu’Abou Sofyân avait sauvé, la caravane et qu’une armée arrivait de la Mecque. Mais Dieu, lui dit-il, t’a promis la victoire et sur la caravane et sur l’armée.

Le Prophète convoqua ses compagnons et leur fit part des événements. Ils furent consternés. Le Prophète leur dit :

« Ne vous affligez pas, car Dieu m’a promis la victoire en tout état de choses, soit sur la caravane, soit sur l’armée. »

Les musulmans dirent :

« Ô apôtre de Dieu; prie pour que Dieu nous fasse triompher de la caravane, ce sera plus facile et la lutte sera moins vive; car nous tous nous sommes partis sans faire des préparatifs de guerre et sans être complétement armés. »

Dieu révéla le verset suivant:

« (Rappelez-vous), quand Allah vous promettait qu’une des deux bandes sera à vous. Vous désiriez vous emparer de celle qui était sans armes, alors qu’Allah voulait par Ses paroles faire triompher la vérité et anéantir les mécréants jusqu’au dernier. »

(Coran 8 Verset 7)

Abou Sofyân, arrivé à trois journées de la Mecque, apprenant que l’armée y avait passé en se dirigeant vers Médine, et que ses propres fils étaient dans l’armée, envoya de cet endroit même un messager vers les troupes et fit dire aux chefs :

« Si c’est pour sauver vos biens que vous vous êtes mis en campagne, ils sont en sûreté maintenant; je suis arrivé sur le territoire de la Mecque. Rentrez et évitez la guerre et le meurtre; car ceux qui sont avec Mohammed appartiennent à nos familles et sont nos parents. Il est inutile de verser leur sang. »

Le messager d’Abou Sofyân trouva l’armée campée à Djo‘hfa, à trois journées de Badr. Parmi les infidèles les avis furent partagés. Les uns voulaient marcher en avant, les autres voulaient s’en retourner. ‘Otba, fils de Rabî‘a, exprima ce dernier avis. Abou Jahl dit:

« Par Dieu, nous ne nous en retournerons pas avant d’avoir été à Badr et avant d’y avoir passé dix jours à boire du vin et à nous reposer; nous inspirerons ainsi la terreur aux brigands de Médine; tous les Arabes entendront parler de notre armée et nous craindront, et personne n’osera plus poursuivre une de nos caravanes. »

Ensuite il parla à ‘Âmir ben Al ‘Hadhramî et lui dit :

« Tu es le client d’Otba; nous voulons aller venger ton frère; mais ‘Otba veut s’en retourner; dis-lui de ne pas le faire. Si cependant il refuse, romps l’engagement et les liens qui t’attachent à ‘Otba et aux Ben ‘Abdoul Schams, et deviens un des nôtres; allie-toi aux Beni-Makhzoum : Nous vengerons alors ton frère. »

‘Âmir vint trouver ‘Otba et lui tint ce langage. ‘Otba répliqua :

« Ton frère n’est pas assez important pour qu’il faille faire la guerre pour lui avec ce grand nombre d’hommes. Si tu veux quitter la tribu des ‘Abd Schams, quitte-la; dégage-toi de tous liens avec elle, si tu veux, et va où tu voudras. »

‘Âmir vint dire ces paroles d’Otba â Abou Jahl, qui, se trouvant au milieu de plusieurs hommes, dit:

«‘Otba a la colique», expression proverbiale, chez les Arabes, pour dire que quelqu’un a peur.

Abou Jahl avait le sobriquet « aux fesses jeunes »

Il avait reçu ce sobriquet parce que, à cause d’une infirmité qu’il avait, il teignit la partie postérieure de son corps avec du safran; quand on voulait l’injurier, on lui donnait ce nom.

Quelques-uns prétendent que cette infirmité lui était venue dans son enfance quand, luttant un jour avec Mohammed, celui-ci l’avait jeté par terre et lui avait rompu une artère. Les infidèles qorayshites avaient coutume de couvrir leurs corps et leurs vêtements de safran dissous dans de l’eau, de façon à être complétement jaunes, et ils ne se purifiaient pas; car de tous les parfums, le plus agréable pour eux était le safran, que l’on va chercher dans le Kirmân et sur le territoire de Hamadân.

Quant au bois d’aloès, à l‘ambre et au camphre, ils étaient peu estimés, parce qu’on en apporte en grande quantité par la voie de mer, de même que le musc, que l’on apportait par la voie de mer, de l’Inde. Or, lorsque Abou Jahl, en parlant d’Otba , prononça les paroles que nous venons de dire, celui-ci répliqua :

« Demain on verra qui a la colique, de moi ou de celui « aux fesses jaunes » »

‘Otba se proposa donc de marcher en avant; mais les autres étaient divisés, les uns voulaient s’en retourner, les autres ne le voulaient pas. Talib, fils d’Abou Talib, engagea son oncle ‘Abbâs à s’en retourner avec lui. Mais Abbâs n’osait pas, par crainte d’Abou Jahl et des Qorayshites.

Il y avait à la Mecque un homme de la tribu des Thaqif, allié des Beni Zohra et jouissant parmi eux d’une grande considération; ils écoutaient et exécutaient ses avis. Il était à l’armée avec un grand nombre de Beni Zohra. Il leur parla ainsi :

« Retournons; car nos marchandises sont arrivées en sûreté à la Mecque. Pourquoi ferions-nous la guerre? »

Les Beni Zohra, au nombre de cent cinquante hommes, voyant que leur allié s’en retournait, suivirent son avis et s’en retournèrent également. Il n’y avait aucune tribu de la Mecque qui n’eût des hommes à l’armée, sauf les Beni ‘Adî ben-Ka‘b, qui n’avaient pas quitté la ville, n’ayant pas de marchandises dans la caravane.

Après le départ des Beni Zohra, l’armée qorayshite ne se composait plus que de neuf cent cinquante hommes. Abou Jahl, craignant que d’autres encore ne s’en allassent, leva son camp dans la même nuit et s’avança sur Badr. Toute l’armée le suivit; aucun autre ne l’abandonna.

Après avoir été averti par Gabriel que la caravane s’était sauvée et qu’une armée venait à sa rencontre, le Prophète réunit ses compagnons pour délibérer avec eux sur ce qu’il y avait à faire. Tous les Mohajirs et les Ansars étant présents, il leur demanda leur avis.

Abou Bakr se leva le premier et dit :

« Ô apôtre de Dieu, nous ferons ce que tu voudras et ce que tu ordonneras. Ceux-là sont nos parents; mais nous avons cru en toi, et nous avons accepté la religion, et nous avons renoncé à eux. Nous avons fait de nos corps et de nos âmes ta rançon; nous lutterons contre eux pour toi; ou Dieu te fera triompher d’eux et fera triompher ta religion, et l’infidélité sera exterminée dans le monde; ou nous périrons tous pour toi. »

Le Prophète remercia Abou Bakr, lui donna des éloges et lui dit de s’asseoir; car il désirait savoir si les Ansars prendraient ou non ce même engagement, sachant bien que les Mohajirs lui prêteraient aide et secours, tandis qu’il craignait que les Ansars et les gens de Médine ne s’en retournassent; car, dans la nuit d’Aqaba, alors qu’ils avaient prêté

serment au Prophète, Sa‘d, fils de Mo‘âds, lui avait dit :

« Ô apôtre de Dieu, viens avec moi à Médine! »
Le Prophète avait répondu : « Je n’ai pas encore reçu de message ni d’ordre de Dieu à cet égard. Allez, j’enverrai mes compagnons et attendrai les ordres que Dieu me donnera. »
Sa‘d avait répliqué : « S’il en est ainsi, nous ne sommes pas responsables de ta vie et de ta sûreté jusqu’à ce que tu viennes à Médine. Quand tu y viendras, alors nous te défendrons, et ta défense sera pour nous un devoir. »

Le Prophète avait approuvé ces paroles. Or maintenant le Prophète craignait qu’il ne dit :

« Nous nous sommes engagés à te protéger à Médine; si tu étais attaqué à Médine, nous t’y protégerions. »

Abou Bakr ayant repris sa place, le Prophète demanda de nouveau un avis. ‘Omar, fils d’Al Khattâb, se leva et tint le même langage qu’Abou Bakr. Le Prophète le remercia également et lui dit de s’asseoir. Ayant renouvelé sa demande, Miqdâd, fils d’Amrou, appartenant lui aussi aux Mohajirs, se leva et dit :

« Ô apôtre de Dieu, c’est à nous de tirer l’épée, à toi de prier et à Dieu de donner la victoire. Nous ne dirons pas comme disaient les enfants d’Israël à Moïse : « Allez, toi et ton seigneur, et combattez, quant à nous, nous resterons ici »

Assiste-nous de ta prière, demande à Dieu la victoire, car nous combattrons nous-mêmes. Le Prophète le loua et lui dit :

« Assieds-toi; je connais les sentiments de vous tous, Ô Mohajirs, je ne doute pas de vos intentions. »

Ensuite il demanda un nouvel avis. Tous reconnurent que cet appel

S’adressait aux Ansars. Sa‘d, fils de Mo‘àds, se leva et dit :

« Ô apôtre de Dieu, est-ce nous que tu as en vue par ces paroles? »
« En effet », dit le Prophète, « car c’est votre concours que je demande. Dans cette affaire, je ne puis réussir que par la puissance de Dieu et par le moyen de votre aide. »

Sa‘d, fils de Mo‘âds, dit :

« Que pouvons—nous faire, Ô apôtre de Dieu? Nous avons cru en toi, nous t’avons prêté serment et nous t’avons accueilli. Il est de notre devoir de te défendre. Nos âmes sont ta rançon et nous verserons notre sang pour toi, que ce soit contre les Qorayshites, ou les Arabes, ou les Perses, les habitants de Rome ou les Abyssins; nous nous tiendrons devant toi, nous te protégerons et combattrons les ennemis; que ce soit à Médine, dans le désert ou en pays cultivé, sur la mer ou sur les montagnes, nous serons partout avec toi et ne t’abandonnerons pas jusqu’à la mort. »

Le Prophète, très heureux de ces paroles, appela Sa‘d près de lui, l’embrassa sur les yeux et le visage et lui dit :

« Ô Sa‘d, que Dieu te récompense pour ta foi, ta bravoure et la fidélité! »

Immédiatement il fit marcher l’armée, et fit halte à deux parasanges de

Badr. En épiant l’approche de l’armée qorayshite, près des puits, il rencontra un vieillard arabe qui ne le connaissait pas. Le Prophète lui demanda s’il avait des renseignements sur la caravane d’Abou Sofyân. Le vieillard répondit :

« La caravane est en sûreté; mais une armée est sortie de la Mecque qui va pour combattre Mohammed et les gens de Médine. »
Le Prophète lui demanda ensuite :
« Quels renseignements as-tu sur l’armée qorayshite? Où sont Mohammed et les gens de Médine? »
Le vieillard répondit: « Je vous le dirai quand vous m’aurez dit qui vous êtes. »
« Parle d’abord », réplique le Prophète, nous te le dirons ensuite.
Le vieillard dit: « L’armée qorayshite est parti tel jour, a quitté tel jour Djo‘hfa, et si celui qui m’a renseigné a dit la vérité, elle doit avoir passé tel jour à tel endroit et être en marche pour venir ici. Quant à Mohammed, il était tel jour à tel endroit, et si mes renseignements sont exacts, il se trouve aujourd’hui à tel endroit. »

C’était précisément le lieu où l’armée musulmane avait fait halte, à Dsafirân. Le Prophète, entendant ces paroles, quitta le vieillard, en faisant courir sa chamelle. Arrivé auprès de ses compagnons, il leur dit :

« L’armée qorayshite est aujourd’hui à tel endroit, demain elle arrivera aux puits de Badr. Au moment de la prière de l’après-midi »

Le Prophète envoya ‘Ali, fils d’Ahou Tâlib, Zohaïr, fils de Sa‘d, et Sa‘d, fils d’Abou Waqqâç, vers les puits de Badr, pour prendre des informations sur l’armée qorayshite. Ils y arrivèrent vers le soir. Les

Qoraïschites étaient campés à deux parasanges de la et avaient envoyé à Badr quatre ou cinq hommes des serviteurs de l’armée, pour chercher de l’eau et pour prendre des informations sur les mouvements du Prophète.

En voyant ‘Ali et ses compagnons montés sur des chameaux, ils eurent peur et s’enfuirent, en disant:

« Ce sont les chamelles de l’armée de Mohammed.

‘Ali et ses compagnons les poursuivirent et saisirent un esclave noir, nommé ‘Arîdh et surnommé Abou Yarâr. ll était Abyssin et appartenait aux Beni ‘Âç ben Sa‘id, ou, d’après d‘autres, à Monnabbih, fils de ‘Haddjâdj.
Ils le conduisirent auprès du Prophète. ‘Ali lui demanda :

« A qui appartiens-tu ? »
« J‘appartiens aux Qorayshites », répondit l’esclave.
« Où se trouve leur armée? »
« Elle est campée a Deux parasanges d’ici; on nous avait envoyés pour chercher de l’eau. »
« Abou-Sofyân est-il avec l’armée? »
« Je ne sais pas où est Abou Sofyân. »
Alors ils frappèrent l’esclave en disant :
« Tu mens, tu es avec Abou-Sofyân, tu nous trompes. »
Après avoir été longtemps frappé, l‘esclave s’écria :
« Oui, je suis esclave d’Abou Sofyân! »
« Qui est avec Abou Sofyân? Combien d’hommes et combien de chameaux y a-t-il? »
Comme ils avaient cessé de le maltraiter, l’esclave dit de nouveau :
« Je ne connais pas Abou Sofyân, c’est du camp de l’armée qorayshite que je suis venu à Badr. »
Pendant cet interrogatoire, le Prophète faisait sa prière. Après avoir prononcé le salut final, il dit :
« Je n’ai pas vu d’hommes plus étonnants que vous. Quand cet homme dit la vérité, vous le frappez, et lorsqu’il ment, vous le croyez véridique; il est, en effet, de l’armée qorayshite. Cette armée est campée à cet endroit, et Abou Sofyân a gagné la Mecque. »
Ensuite le Prophète appela l’esclave et lui dit :
« Où est le camp de l’armée? Dis la vérité et ne crains rien. »
L’esclave répondit que l’armée se trouvait à tel endroit.
« Combien y a-t-il d’hommes? » demanda le Prophète; « sont-ils neuf cents? N’ont-ils pas dit combien ils sont? »
« Je ne sais pas combien ils sont », répondit l’esclave; « mais je sais qu’ils tuent chaque jour neuf ou dix chameaux. Il y a eu hier un banquet chez un des chefs, auquel assistaient tous les hommes, grands et petits. Là aussi on a tué dix chameaux. »
Le Prophète dit :
« Ils sont, comme je l’ai dit, de neuf cents à mille » 

Or ils étaient au nombre de neuf cent cinquante; cent d’entre eux avaient des chevaux, les autres montaient des chameaux. Ensuite le

Prophète demanda à l’esclave quels étaient les grands personnages qorayshites qui se trouvaient dans l’armée. L’esclave nomma ‘Otba, fils de Rabî‘a, et son frère Schaïba’; Omayya, fils de Khalaf ; ‘qa, fils de Mou‘aït; ‘Abbäs, fils d’Abdoul Muttalib; ‘Aqîl, fils d‘Abou Tâlib; Abou Jahl, fils de Hischâm; ‘Hakîm, fils de ‘Hizâm; il énuméra ainsi tous les nobles Qorayshites de la Mecque qui se trouvaient à l‘armée.

Le Prophète dit à ses compagnons : La Mecque a envoyé contre nous ses enfants les plus chers.

Pendant la nuit, l’un des Ansars, un homme de la tribu de Naddjâr, vint trouver le Prophète et lui dit:

« Ô apôtre de Dieu, nous ne devons pas rester ici. L’armée qorayshite viendra demain à Badr et occupera les puits, et nous n’aurons pas d‘eau. Il faut nous y rendre cette nuit, nous établir près du puits le plus rapproché [de l’ennemi], creuser un grand réservoir, remplir nos outres, parce que, pendant le combat, nous ne pourrons pas puiser de l’eau; puis il faut mettre à sec tous les autres puits, afin que, quand ils viendront, ils ne trouvent pas d’eau, tandis que nous en aurons. »

Le Prophète, approuvant cet avis, marcha en avant et fit halte près des puits, dont l’un fut rempli, et les autres mis à sec. Dans la nuit, il

fit un rêve. Il lui sembla voir que son armée était dispersée et qu’il restait seul. A son réveil, il fit part de son rêve à ses compagnons, et l’interpréta dans ce sens que les ennemis seraient mis en fuite. Il est dit dans le Coran:

« En songe, Allah te les avait montrés peu nombreux ! Car s’Il te les avait montrés nombreux, vous auriez certainement fléchi, et vous vous seriez certainement disputés à propos de l’affaire. Mais Allah vous en a préservés. Il connait le contenu des cœurs. »

(Coran 8 Verset 43)

Le lendemain, les Qorayshites se mirent en marche pour puiser de l’eau et pour occuper les puits. Lorsqu’ils y arrivèrent, ils apprirent que le Prophète les avait déjà occupés.

Ils firent halte derrière une grande colline de sable, qui empêchait les deux armées de se voir, mais non de s’entendre. Le Prophète se trouvait sur le terrain rapproché des puits, tandis que les Qorayshites étaient sur un terrain éloigné des puits, dans la vallée, comme il est dit dans le Coran:

« Vous étiez sur le versant le plus proche, et eux (les ennemis) sur le versant le plus éloigné, tandis que la caravane était plus bas que vous. Si vous vous étiez donné rendez-vous, vous l’auriez manqué (effrayés par le nombre de l’ennemi). Mais il fallait qu’Allah accomplît un ordre qui devait être exécuté, pour que, sur preuve, pérît celui qui (devait) périr, et vécût, sur preuve, celui qui (devait) vivre. Et certes Allah est Audient et Omniscient. »

(Coran 8 Verset 42)

Le lendemain, les Qorayshites se mirent en mouvement, montèrent la colline de sable et firent halte près de l’armée de Mohamed, de sorte qu’ils purent voir de leur camp l’armée du Prophète. Quelques-uns d’entre eux gravirent le sommet de la colline pour regarder. Lorsque ‘Otba parut sur le sommet, monté sur un chameau à poils roux, le Prophète le distingua et dit :

« Ils se sont jetés eux-mêmes dans le précipice; personne ne les a avertis, sauf l’homme du chameau rouge. Ils feraient mieux de suivre son avis. »

Vue du sommet de la colline de sable, qui était grande comme une montagne, l’armée du Prophète parut très faible aux Qorayshites; et de même l’armée ennemie semblait peu nombreuse aux yeux des musulmans, qui prirent courage, comme il est dit dans le Coran :

« Et aussi, au moment de la rencontre, Il vous les montrait peu nombreux à vos yeux, de même qu’Il vous faisait paraître à leurs yeux peu nombreux afin qu’Allah parachève un ordre qui devait être exécuté. C’est à Allah que sont ramenées les choses. »

(Coran 8 Verset 44)

Après avoir fait halte, les infidèles envoyèrent un homme nommé ‘Omaïr, fils de Webb, de la tribu de Djouma‘h, pour reconnaître les forces de l’armée musulmane. Cet homme tourna autour de l’armée et l’examina. Il revint et leur dit :

« Ils ne sont pas plus de trois cents; cependant j’irai voir s’ils n’ont pas placé une embuscade. »

ll se dirigea de tous côtés, et, revenant, le soir, sans avoir rien trouvé, il annonça qu’il n’y avait pas d’hommes embusqués. Abou Jahl dit ironiquement :

« S’il faut combattre, ces hommes ne sont pas de force à nous résister; cependant vous combattrez le Dieu du ciel, comme dit Mohammed à ses compagnons. »

Un homme nommé Aswad, fils d’Abdoul As‘ad, de la tribu de Makhzoum, dit :

« Je jure que je boirai à leur bassin! » et il s’en approcha.

Hamza, fils d’Abdoul Muttalib, se précipita sur lui, et, d’un coup de sabre, lui coupa une jambe. Aswad tomba, et traîna son corps et la jambe détachée, dont le sang coulait, vers le bassin, en disant :

« Je m’y plongerai, j’y mourrai, n’importe; au moins aurai-je gâté leur eau. »

A ces mots, il se plongea dans le bassin. ‘Hamza le frappa d’un autre coup et le fit tomber dans l’eau, qui fut mêlée de sang. D’autres infidèles s’approchant pour boire, les musulmans voulurent les en empêcher. Mais le Prophète leur dit:

« Laissez-les; car tout infidèle qui boira de cette eau sera tué. »

Il arriva ainsi que le Prophète l‘avait dit. Ensuite les infidèles cherchèrent de l’eau à d’autres puits, à la distance de deux ou trois parasanges, parce qu’il n’y avait d’eau que dans les puits qui étaient occupés par le Prophète.

Les infidèles commencèrent à craindre le Prophète. En effet, quand Dieu voulait assister le Prophète dans un combat où il se trouvait, il remplissait de crainte les cœurs des ennemis. L’un des principaux personnages des Qorayshites, nommé ‘Hakîm, fils de ‘Hizâm, leur parla ainsi :

« Ô Qorayshites, retournons! Quoique ceux-là soient moins nombreux que vous, ce sont des hommes qui ne craignent pas la mort. Nous ferons mieux de nous en retourner. »

Alors Abou Jahl dit à ‘Âmir ben Al ‘Hadhramî :

« Va et demande vengeance pour la mort de ton frère. »

‘Âmir alla au milieu de l’armée qorayshite et cria vengeance. Tous les hommes lui répondirent :

« Nous ne retournerons pas à la Mecque avant d’avoir vengé la mort de ton frère et d’avoir tué celui qui l’a fait mourir. »

‘Hakîm, fils de ‘Hizâm, vint trouver ‘Otba, fils de Rabî‘a, et lui dit:

« Ô Abou Walid , ne peux-tu pas faire que cette armée s‘en retourne aujourd’hui, et que le combat n’ait pas lieu? Tu en serais honoré parmi tous les Arabes. »

‘Otha répliqua :

« Que puis-je faire? Le fils de Hanzhaliyya (Hanzhaliyya était le nom de la mère d’Ahou Jahl) ne laissera pas les hommes partir. »
‘Hakim dit: « Ô Abou Walid, il retient les hommes en alléguant qu’il faut venger la mort d’Amrou ben Al ‘Hadhramn. ‘Amrou était ton allié. Paye toi-même le prix de son sang, afin que cette affaire soit apaisée et que les hommes s’en retournent en paix. »

‘Otba consentit, sortit, vint au milieu des troupes, qui se réunirent autour de lui, et, s’appuyant sur l’arc qu’il tenait à la main, Il leur adressa le discours suivant :

« Mes compagnons qorayshites, qu’allez-vous faire? Vous voulez combattre Mohammed et ses compagnons, qui sont tous vos parents! Comment pourrez-vous les regarder et les frapper avec l’épée? Ce sont des hommes ayant perdu leur patrie et leurs biens et vivant dans l’exil, dont la vie est attachée à leurs poignées et à qui la mort est douce. Tandis que vous tuerez un homme d’entre eux, ils tueront dix des vôtres. Si vous voulez ce combat à cause de la mort d’Amrou ben Al ‘Hadhramî, eh bien, ‘Amrou était mon allié, je donnerai le prix de son sang à son frère. Ne dites pas : « ‘Otba veut nous faire retourner à la Mecque, parce qu’il a peur. Je n’ai pas peur. » »

Abou Jahl, averti qu’Otba tenait aux hommes ce langage, pour les déterminer à renoncer au combat, accourut en toute hâte et trouva ‘Otha qui parlait aux troupes. Il dit une seconde fois :

« Tu as la colique, par crainte de Mohammed. Si tu veux t’en aller, va-t’en; personne ne s’en ira sur ton ordre. ‘Amrou a été tué, et son’ frère n’a que faire du prix du sang que tu veux lui payer. Il est devenu mon allié; il a renoncé aux Beni ‘Abdoul Schams, et s’est engagé avec nous, la tribu des Beni Makhzoum. C‘est moi qui vengerai la mort de son frère. Si tu veux partir, pars! »

‘Otba, irrité de ses paroles, se tut, prit son arc et rentra dans sa tente.

Abou Jahl ordonna, pendant la nuit, d’allumer partout des feux, afin que la crainte empêchât les musulmans de dormir  tranquilles; mais la plupart de ceux-ci eurent dans leur sommeil des rêves, comme il est dit dans le Coran :

« Et quand Il vous enveloppa de sommeil comme d’une sécurité de Sa part, et du ciel Il fit descendre de l’eau sur vous afin de vous en purifier, d’écarter de vous la souillure du Diable, de renforcer les cœurs et d’en raffermir les pas ! [Vos pas]. » 

(Coran 8 Verset 11)

Et le matin ils étaient obligés de se purifier. Cependant l’eau dans leur bassin était gâtée , et ils n’en trouvaient pas. Alors Dieu envoya une pluie qui ne tomba que du côté des musulmans, et non du côté des infidèles. Le bassin se remplit d’eau et devint pur, et le sable dans lequel ils s’étaient enfoncés jusqu’aux chevilles, devint dur après la pluie. Tous ceux qui étaient impurs firent des ablutions et se purifièrent, et leurs cœurs furent raffermis, comme il est dit dans le Coran:

« (…) et du ciel Il fit descendre de l’eau sur vous afin de vous en purifier, d’écarter de vous la souillure du Diable, de renforcer les cœurs et d’en raffermir les pas »

(Coran 8 Verset 11)

Quand le soleil parut, les Qorayshites se formèrent en lignes de bataille. Ce fut le vendredi, dix-septième Jour du mois de ramadhan, ou, d‘après d’autres, le dix-neuvième jour de ce mois. Abou Jahl, se plaçant devant les rangs dit :

« Ô Seigneur, viens en aide à celle de ces deux armées qui t’est la plus chère! »

Les musulmans n‘avaient pas de tentes. Sa‘d, fils de Mo‘âds, vint auprès du Prophète et lui fit une cabane, semblable à une tente, de branches d’arbres et de feuillages qu’on trouvait dans la vallée.

Il lui dit :

« Reste ici pendant que nous combattrons, afin que le soleil ne t’incommode pas. »

Il resta lui-même avec quelques Ansars à l’entrée de la cabane pour le garder; Le Prophète y entra avec Abou Bakr; il se prosterna, pleura et invoqua Dieu en ces termes :

« Ô Seigneur, accomplis la promesse que tu m‘as donnée, et envoie le secours que tu m’as annoncé. »

Il pria longtemps; ensuite il sortit de la cabane, et les musulmans se formèrent en ordre de bataille. Le Prophète, un bâton à la main, passa devant les rangs pour les aligner. L’un des Ansars, nommé Sewâd, fils de Ghaziyya, sortait un peu hors du rang. Le Prophète lui donna un coup de bâton sur le ventre et lui dit :

« Aligne-toi »
Sewâd dit : « Ô apôtre de Dieu, tu m’as fait mal; Dieu t’a envoyé pour accomplir la justice; laisse-moi prendre ma revanche. »
Le Prophète répliqua : « Prends-la. »
Sewâd le pressa sur son cœur et l’embrassa.
« Pourquoi fais-tu ainsi? » dit le Prophète.
« Parce que », répondit Sewâd, « je suis au moment de paraître devant Dieu; je suis prêt à mourir. Mais, avant de mourir, j’ai voulu que ma peau touchât la tienne, afin que je sois préservé de l’enfer. »
Le Prophète prononça trois fois les paroles: « Tu es préservé de l’enfer. »

Ensuite le Prophète acheva de mettre en ordre de bataille ses troupes, et les infidèles firent de même.

Le premier qui sortit des rangs de l’armée des infidèles fut ‘Otba, à cause du reproche qu’Ahou Jahl lui avait fait de manquer de courage. Il était de taille plus élevée que tous les Qorayshites, et l’on ne trouvait pas de casque assez large pour sa tête. Il roula un turban autour de sa tête, revêtit sa cuirasse, prit toutes ses armes et vint se placer entre les deux armées. Son frère Schaïba et son fils Walid le suivirent. ‘Otba défia les musulmans à un combat singulier. Trois hommes d’entre les Ansars sortirent des rangs des musulmans : ‘Auf et Mo‘awwids, fils de ‘Harith, appelés les fils d’Afrâ, du nom de leur mère, et ‘Abdallah, fils de Rewa’ha, qui était l’un des principaux Ansars.

« Comment vous appelez-vous? » leur dit ‘Otba.

Chacun d’eux dit son nom et sa famille.

‘Otha dit: « Rentrez, vous n’êtes pas nos égaux. Il y a parmi vous beaucoup de Qorayshites qui sont nos égaux, qui ont quitté la Mecque afin de combattre pour Mohammed contre nous. »

Ces trois hommes se retirèrent. Ensuite‘Otba cria au Prophète :

« Ô Mohammed, envoie des hommes qui soient bien nos pairs, des Qorayshites qui sont avec toi. »
Le Prophète dit à ‘Ali fils d’Abou Talib, à ‘Hamza et à ‘Obaïda petit fils d’Abdoul Muttalib :
« Allez, vous êtes leurs égaux et de la même famille qu’eux. »

‘Obaïda le plus âgé d’entre eux, se plaça en face d’Otba; ‘Hamza, devant Schaïba, et ‘Ali devant Walid. Ces derniers étaient jeunes tous les deux : ‘Ali n’avait pas encore vingt ans. ‘Hamza était âgé de cinquante-trois ans. ‘Ali attaqua Walid et le fendit en deux. ‘Hamza tua également son adversaire Schaïba. ‘Otba, luttant avec ‘Obaïda, le frappa d’un coup de sabre qui lui coupa la cuisse, de sorte que la moelle sortit de l’os. ‘Ali et ‘Hamza accoururent, tuèrent ‘Otba et emportèrent ‘Obaïda dans leur camp. Le Prophète, le voyant dans cet état, lui dit :

« Sois content, Ô ‘Obaïda, tu n’es séparé du paradis que par le dernier souffle de ton âme: tu entreras dans le paradis éternel. »
‘Obaïda dit : « Si Abou Talib vivait encore, il verrait que j’ai réalisé ce qu’il a dit dans son vers : « Nous ne vous l’abandonnerons pas avant que nous et nos enfants soyons tués autour de Mohammed. J’ai plus de mérite que lui. »
Le Prophète lui dit :
« Tu as plus de mérite que lui; car lui n’a fait que le dire, mais toi, tu l’as réalisé par le fait. »

Ensuite, le Prophète encouragea les hommes, qui commencèrent le combat, tandis qu’il allait et venait dans le camp, par devant et par derrière. Une flèche de l’armée ennemie frappa et tua un affranchi d’Omar, fils d’Al Khattâb, nommé Mihdja‘. Ensuite ‘Obaïda petit fils de Abdoul Mutallib, mourut. Un des Ansars, nommé ‘Hâritha , fils de Sorâqa, de la tribu de Naddjâr, fut également tué par une flèche de l’armée des infidèles.

Le Prophète excitait toujours ses soldats. Un homme d’entre les Ansars, nommé ‘Omaïr, fils de ‘Hammâm, tenait dans la main quelques dattes, qu’il mangeait sous les yeux du Prophète. Celui-ci, en exhortant les soldats, dit:

« Il ne vous faut, pour obtenir le paradis, que trouver le martyre. »

‘Omaïr, entendant ces paroles, jeta ses dattes, en disant:

« S’il en est ainsi, j’ai assez d’une datte jusqu’à ce que j’entre dans le paradis. »

Il tira son sabre, se lança dans les rangs des ennemis, en frappa et en tua plusieurs, et fut tué lui-même.

Le Prophète, avec Abou Bakr, entra dans la cabane, se prosterna de nouveau, pleura et supplia; il dit :

« Ô Seigneur, si cette troupe qui est avec moi périt, il n’y aura plus après moi personne qui t’adorera; tous les croyants abandonneront la vraie  religion. »

Il tenait ses mains levées vers le ciel, en priant. Enfin Abou Bakr lui prit les mains et dit :

« Apôtre de Dieu, ne cherche pas à forcer Dieu par ta prière. »
Le Prophète répondit : « Je demande, Ô Abou Bakr, l’accomplissement de sa promesse. »

Pendant qu’ils parlaient ainsi, Gabriel vint avec mille anges, se présenta au Prophète et lui dit :

« Sois content; Dieu m’a envoyé à ton secours avec mille anges. »

Puis il lui récita ce verset du Coran :

« (Et rappelez-vous) le moment où vous imploriez le secours de votre Seigneur et qu’Il vous exauça aussitôt: « Je vais vous aider d’un millier d’Anges déferlant les uns à la suite des autres. »

(Coran 8 Verset 9)

Le Prophète dit :

« Ô mon frère Gabriel, mille anges! »
Gabriel dit : « Trois mille, ô Mohammed. »
« Trois mille! » répéta le Prophète.
« Oui, cinq mille » répliqua Gabriel. 

Aussitôt le Prophète sortit en courant de la cabane pour porter aux musulmans cette bonne nouvelle. Il cria à haute voix :

« Dieu a envoyé trois mille anges à votre secours. »
Ils répétèrent dans leur joie: « Trois mille! »
« Oui, cinq mille », réplique le Prophète.

Ensuite Gabriel récita au Prophète le verset suivant:

« Allah vous a donné la victoire, à Badr, alors que vous étiez humiliés. Craignez Allah donc. Afin que vous soyez reconnaissants !
(Allah vous a bien donné la victoire) lorsque tu disais aux croyants: « Ne vous suffit-il pas que votre Seigneur vous fasse descendre en aide trois milliers d’Anges ? »
Mais oui ! Si vous êtes endurants et pieux, et qu’ils [les ennemis] vous assaillent immédiatement, votre Seigneur vous enverra en renfort cinq mille Anges marqués distinctement. »

(Coran 3 Verset 123 à 125)

Le Prophète récita le verset aux fidèles. Il vit comment les anges, tenant dans leurs mains des bâtons, se mettaient en ligne avec les musulmans. Dieu leur avait ordonné de se tenir dans les rangs des musulmans; « car moi », leur dit-il, « j’ai jeté la crainte dans les cœurs des infidèles, et vous, frappez-les sur la tête, sur le cou et sur tout le corps. »

Il est dit dans le Coran :

« Et ton Seigneur révéla aux Anges: « Je suis avec vous: affermissez donc les croyants. Je vais jeter l’effroi dans les cœurs des mécréants. Frappez donc au-dessus des cous et frappez-les sur tous les bouts des doigts. »

(Coran 8 Verset 12)

Lorsque les anges se disposèrent à charger l‘armée impie, le Prophète ramasse une poignée de poussière et la jeta contre les infidèles, en disant:

« Que vos faces soient confondues! »

Dieu commanda au vent de porter cette poussière aux yeux des infidèles, qui en furent aveuglés. Chargés par les anges, qui étaient en avant des fidèles, ils se mirent à fuir. Les anges les poursuivirent, les frappèrent de leurs bâtons et les firent tomber. Chaque coup qu’un ange portait à un infidèle lui brisait tous les os de son corps, depuis la tête jusqu‘aux pieds, et lui rompait les veines et les nerfs; l’homme tombait et remuait convulsivement, sans qu’aucune blessure fût visible sur son corps, et sans que son sang coulât. Quand les fidèles arrivaient, ils attaquaient les hommes ainsi frappés, leur faisaient des blessures et faisaient couler leur sang. Les compagnons du Prophète ont raconté :

« Il y eut des hommes dont la tête fut séparée du corps et la nuque brisée avant que notre épée les eût atteints.

Il y en avait d’autres qui, lorsque nous les attaquâmes, étaient étendus par terre, agonisant, mais sans blessure. Leurs corps étaient brisés, mais la vie ne les avait pas encore quittés. Nous reconnûmes que cela n‘était pas de notre fait, mais l’œuvre de Dieu. »

Il est dit, en effet, dans le Coran :

« Ce n’est pas vous qui les avez tués: mais c’est Allah qui les a tués. Et lorsque tu lançais (une poignée de terre), ce n’est pas toi qui lançais: mais c’est Allah qui lançait, et ce pour éprouver les croyants d’une belle épreuve de Sa part ! Allah est Audient et Omniscient. »

(Coran 8 Verset 17)

Vers le soir, les infidèles furent mis en déroute; les musulmans les tuèrent à coups de sabre et firent des prisonniers. Le Prophète, en les envoyant à leur poursuite, dit à ses gens :

« Parmi ces infidèles il y a plusieurs membres de la famille de Hâshim, tels que ‘Abbas, fils d’Aboul Muttalib, mon oncle, ‘Aqîl, fils d’Abou Talib, père d’Ali; Aboul Bakhtarî, fils de Hâshim. Si vous rencontrez ceux-là parmi les fuyards, ne les tuez pas. Vous savez qu’ils ont été forcés de marcher avec l‘armée. ‘Abbâs est un vieillard, qui ne m’a jamais offensé à la Mecque. Lorsque les Qorayshites avaient écrit un engagement de cesser toutes relations avec les Beni Hâshim, Aboul Bakhtari fit beaucoup d’efforts, jusqu’à ce qu’il fût parvenu à arracher la feuille de la porte de la Ka‘ba, où elle était suspendue, et à la déchirer. Donc ne le tuez pas. Quiconque d‘entre vous rencontrera Abou Jahl, qu’il ait soin de ne pas le laisser échapper. Si vous ne le rencontrez pas, recherchez-le parmi les morts; car Dieu m’a promis qu’il serait tué aujourd’hui. Si vous ne le reconnaissez pas à son visage, qui pourrait être couvert de poussière, vous pourrez le distinguer à une cicatrice qu’il a au pied. Dans notre enfance, nous nous trouvâmes un jour dans la maison d’Abdallah, fils de Djond‘ân, l’un des nobles de la Mecque. En quittant la table, après avoir mangé, Abou Jahl me poussa et voulut me faire tomber; mais il n’y réussit pas. Ensuite je le bousculai, et son pied ayant frappé le seuil de la maison, il se blessa, et son genou a gardé la trace de cette blessure. Vous le reconnaîtrez à ce signe; tranchez-lui la tête et apportez-la moi. »

En terminant ses recommandations,  il dit :

« Maintenant, au nom de Dieu, allez et exécutez ce que je vous ai dit. »

Les musulmans partirent à la poursuite des infidèles qorayshites. Le Prophète, en les voyant s’éloigner, dit, en brandissant le sabre qu’il tenait à la main :

« Leur rassemblement sera bientôt mis en déroute, et ils fuiront »

(Coran 54 Verset 45)

Abou ‘Hodsaïfa, fils d’Otba, l’un des principaux Mohajirs, qui était très affligé de la mort de son père, de son oncle et de son frère, qui avaient été tués ce jour-là , était présent lorsque le Prophète donna aux fidèles ces instructions relativement à la poursuite. Ayant entendu le Prophète dire à deux ou trois personnes :

« Ne tuez pas mon oncle ‘Abbâs », Abou ‘Hodsaïfa dit en murmurant en lui-même: « Nous tuons nos pères, nos frères et nos oncles, et lui, il dit: « Ne tuez pas mon oncle. Par Dieu si je rencontre ‘Abbâs, je lui donne le premier un coup de sabre sur la tête. »

Ensuite Abou ‘Hodsaïfa partit avec les musulmans à la poursuite des infidèles. Le Prophète, qui avait entendu ces paroles, dit à ‘Omar, fils d’Al Khattâb, présent à cette scène :

« As-tu entendu, ‘Omar, ce qu’a dit Ahou-‘Hodsaïfa? »
‘Omar répliqua : « Ô apôtre de Dieu, autorise-moi à le tuer; il est devenu infidèle et hypocrite. »
Le Prophète dit : « Il n’est pas devenu infidèle, ni hypocrite; il parle ainsi dans la douleur qu’il éprouve de la mort de son père, de son frère et de son oncle. »

‘Omar insista et voulait à toute force que le Prophète lui permit de le tuer. Le Prophète, qui auparavant n’avait jamais appelé ‘Omar par son surnom, lui dit:

« Ô Abou-‘Hafç, ne le tue pas; car peut-être Dieu lui donnera-t-il le martyre, qui sera une expiation de ses paroles et qui le portera dans le paradis. »

Quelqu’un avait entendu cette parole du Prophète et l’avait rapportée à Abou ‘Hodsaïfa. Celui-ci se repentit. Il continua sa course, craignant le châtiment de Dieu, et disant :

« Peut-être serai-je tué et trouverai-je le martyre, pour expier mes paroles criminelles, comme l’a dit le Prophète. »

Mais Abou ‘Hodsaïfa ne fut pas tué le jour de Badr. Il suivit le Prophète dans toutes les autres batailles et combattit avec ardeur, dans la pensée de trouver la mort et le martyre. Chaque fois il priait Dieu de lui accorder la grâce du martyre dans le combat, afin d‘expier les paroles qu’il avait prononcées. Après la mort du Prophète, lorsque les musulmans combattaient Musaylimah l’imposteur, Abou ‘Hodsaïfa fut tué et trouva le martyre.

Après avoir envoyé les musulmans à la poursuite des infidèles, le Prophète entra dans la cabane, pria et rendit grâces à Dieu.

Sa‘d, fils de Mo‘âds, et ses compagnons se tenaient à l’entrée tous armés, sur leurs chameaux, afin de protéger le Prophète contre toute attaque.

Les croyants, acharnés à la poursuite des infidèles, les tuèrent ou les firent prisonniers. Un homme nommé Ka‘b, fils d’Amrou, surnommé Aboul Laïth, de la tribu de Solaïm, fit prisonnier ‘Abbâs et lui attacha les mains, en lui disant :

« Le Prophète m’a défendu de te tuer. »

‘Abbâs fut très heureux.

Il avait sur lui vingt dinars. Ka‘h les lui prit et l’emmena au camp. Moudjaddsar, fils de Dsiyâd, client des Ansars, rencontra Aboul Bakhtari, fils de Hâshim, avec un de ses amis, nommé Djounâda, fils de Molai‘ha. Moudjaddsar dit à Aboul Bakhtari :

« Va , ô infidèle, auprès du Prophète de Dieu, qui m’a défendu de te tuer. Mais je ne peux pas laisser la vie à ton ami. »
Aboul Bakhtarî répliqua : « Ma vie est liée à la sienne; je ne laisserai pas tuer mon ami. »

Malgré les efforts de Moudjaddsar, Aboul Bakhtari lutta avec lui, pour défendre son ami, jusqu’à ce qu’il fût tué par Moudjaddsar, qui vint en rendre compte au Prophète, en lui racontant le fait et en s’excusant. Le Prophète agréa ses excuses.

‘Abder Rahmân, fils d’Auf, qui avait reçu ce nom du Prophète en se faisant musulman, et qui auparavant s’appelait ‘Abd ‘Amrou, avait été, avant l’islamisme, lié d’amitié avec Omayya, fils de Khalaf, et était resté son ami même après avoir embrassé la religion musulmane, quoique Omayya fût incrédule. Celui-ci continuait à l’appeler ‘Abd ‘Amrou. ‘Abder Rahman lui dit:

« Appelle-moi ‘Abder Rahmän, serviteur de Dieu.  »
Omayya répondit : « Je ne connais pas Rahman, je ne sais qui il est. »
« Appelle-moi alors ‘Abdallah »
« Je ne connais pas ‘Abdallah; je t‘appellerai ‘Abdoullah. »
« J’y consens, » répondit ‘Abder Rahmân.

Omayya l’appelait donc ainsi. Or, le jour de Badr, Omayya et son fils ‘Ali se trouvaient à l’armée qorayshite. Lorsque son armée fut en déroute, Omayya, qui était âgé, ayant perdu son cheval et ne pouvant pas courir, resta en arrière. Lui et son fils ‘Ali, qui était un jeune homme et qui ne pouvait pas quitter son père, étaient dans le camp, debout, cherchant quelqu‘un à qui ils pussent se rendre prisonniers, pour échapper à la mort… ‘Abder Rahmän, fils d’Auf, qui aimait les armures, était entré dans le camp, avait ramassé deux cuirasses et les emportait sur son dos. Omayya, l’apercevant de loin, le reconnut et lui cria : Ô ‘Abdoullah, viens et fais nous prisonniers, moi et mon fils, nous valons mieux que ce que tu tiens. ‘Abder Rahmân jeta les cuirasses, les fit prisonniers et les emmena. Ils furent rencontrés par Bilal, qui, d’après une version, avait été le voisin d’Omayya à la Mecque, et qui, chaque jour, avait été frappé et tourmenté par lui. Mais, d’après une version plus exacte, Belâl avait été l’esclave d’Omayya; comme il avait embrassé l’islamisme, il fut acheté par Abou Bakr, et donné par lui au Prophète, qui l‘affranchit. Omayya lui avait attaché les mains et les pieds, lui avait placé sur le corps un bloc de pierre, avait torturé tous ses membres, en lui ordonnant de renoncer à l’islamisme. Bilal avait répondu :

« Il n’y a qu’un dieu! »

Or, lorsque les infidèles s’enfuirent, Bilal, sachant qu’Omayya était parmi eux, ne songea qu’à s’en rendre maître pour le tuer ou le faire prisonnier. En passant dans le camp, il vit Omayya et son fils conduits comme prisonniers par ‘Abder Rahmân.

Bilal dit :

« Ô ‘Abder Rahmân, où mènes-tu ces infidèles que je cherche? »
« Tais-toi, dit ‘Abder Rahman, ce sont mes prisonniers. »
Bilal réplique : « Que Dieu ne me sauve pas s’ils échappent de mes mains! Ce sont des Qorayshites infidèles, ennemis de Dieu et du Prophète. »

Les musulmans accoururent avec leurs sabres et tuèrent le fils d’Omayya. ‘Abder Rahmân, en couvrant Omayya de son corps, lui dit : « Voilà ton fils qui n’existe plus, ils vont maintenant te tuer également.

Je n’y peux rien faire. Dis :

« Il n’y a pas de dieu si ce n’est Allah, et Mohammed est l‘apôtre d’Allah. »
Omayya répondit: « Si je pouvais prononcer ces paroles, je ne serais pas venu à ce combat. »
‘Abder Rahmân dit : « Alors sauve-toi, car je ne peux pas te protéger »
Omayya, ne pouvant courir à cause de son âge, dit : « Si je pouvais marcher, je ne me serais pas rendu à toi, moi et mon fils. »

Ils parlaient encore, lorsque les musulmans se tournèrent vers lui et le tuèrent. ‘Abder Rahmân dit à Bilal :

« Que Dieu ne te punisse pas, Ô Bilal, pour ce que tu as fait. J’ai perdu mes cuirasses, et tu as fait tuer mes prisonniers, de sorte que chacun a obtenu quelque chose, excepté moi. »

Lorsque le Prophète donna l’ordre de rechercher Abou Jahl, de ne pas le laisser échapper, de le chercher parmi les morts et de le lui amener mort ou vif, parce que, disait-il, « c’était un homme dangereux », l’un des Ansars, nommé Mo‘âds, fils d’Amrou ben Al Djamou‘h, ne songea qu’à chercher Abou Jahl. Il le rencontra enfin dans le camp des infidèles, monté sur un cheval arabe; il était avec son fis ‘Ikrima.

Mo‘âds, le frappant de son sabre, lui enleva le bras droit, et Abou Jahl tomba de son cheval. ‘Ikrima accourut et, d’un coup de sabre, coupa le bras de Mo‘âds, qui se sauva.

Mo‘âds vivait encore, n’ayant qu‘un bras, sous le califat d’Othman.

D’après une autre version, Abou Jahl serait tombé de cheval, ayant une jambe coupée. ‘Ikrima se tenait devant son père, et ne le quittait pas. Un autre homme des Ansars, nommé Mo‘awwids, fils d’Afrâ, vint à y passer, et, voyant Abou Jahl assis, le sang coulant de sa jambe, il lui asséna sur les épaules un coup de sabre qui pénétra jusqu’à la poitrine.

Abou-Jahl tomba dans la poussière. ‘Ikrima s‘approcha, frappa Mo‘awwids et le tua. Voyant que son père était perdu, il s‘en alla. ‘Abdallah, fils de Mas’ûd, l’un des plus faibles des musulmans, s‘était dit:

« Je m’occuperai des morts; j’irai voir lesquels d’entre les Qorayshites ont été tués. »

En examinant les cadavres, il trouva Abou Jahl, qui avait encore un souffle de vie. Il le retourna, l’étendit sur le dos et s’assit sur sa poitrine. ‘Abdallah n‘avait pas d’autre arme qu’un bâton. Abou Jahl avait un grand couteau; ‘Abdallah le prit pour lui trancher la tête. A ce moment, Abou Jahl ouvrit les yeux pour voir qui il était. Reconnaissant ‘Abdallah, qui, avant l’islamisme, avait été son berger, il lui dit :

« Ô pâtre des timides moutons, à quelle place t’es-tu assis! »
‘Abdallah répliqua : « Que Dieu soit loué de m’avoir accordé cet honneur! »
« Quel honneur vois-tu en moi? » dit Abdu-Jahl. « Tu vois qu’on a tué tant de nobles Qorayshites ; prends-moi avec eux! Mais à qui est la victoire? »
‘Abdallah répondit: « A Dieu, à son prophète et aux croyants. »

Abdallah lui tranche la tête, la porta au Prophète et la jeta sur la terre devant lui. Le Prophète se prosterna et rendit grâces à Dieu.

A la tombée de la nuit, les musulmans revinrent au camp, cessant la poursuite. Le Prophète ordonna de traîner les cadavres au bord d’un certain puits sans eau, et de les y jeter, sauf Omayya, fils de Khalaf, dont le cadavre était entré immédiatement en décomposition, et que l’on ne pouvait pas déplacer; on l’enfouit dans la poussière. Le Prophète, se plaçant au bord du puits dans lequel on avait jeté les cadavres, appela chacun des morts par son nom et dit:

« Ô ‘Otba, Ô Schaîba, Ô Abou Jahl, Ô vous tels et tels, vous étiez tous mes parents; vous m’avez accusé de mensonge, tandis que des étrangers ont cru à mes paroles; vous m’avez chassé de ma patrie, des étrangers m‘ont accueilli; vous m’avez combattu, et des étrangers ont combattu pour moi. Tout ce que Dieu m’a promis, la victoire sur vous et votre châtiment, s’est réalisé sur vous. »
Les compagnons du Prophète lui dirent : « Ô apôtre de Dieu, parles-tu à des morts? »
Le Prophète répliqua: « Ils entendent et comprennent comme vous-mêmes, seulement ils ne peuvent pas répondre. »

Ensuite le Prophète rentra au camp.

Les auteurs qui ont rapporté les traditions ne sont pas d’accord sur le nombre des hommes tués et des prisonniers.

Les uns prétendent qu’il y a en quarante-cinq prisonniers; d’après d’autres, il y en a en moins. Mohammed ben Djarir, dans les chroniques de Tabari, dit, ainsi que j‘ai lu dans le récit des guerres sacrées et dans d‘autres livres, qu’il y a eu soixante et douze hommes tués et autant de prisonniers. Mais il n’y a pas désaccord Sur le nombre des morts musulmans, qui s‘élevait à quatorze. Six Mohajirs et huit Ansars. Leurs noms se trouvent dans le livre des Batailles.

En revenant au camp, le Prophète vit ‘Hodsaïfa, fils d’Otba, la figure altérée. Il lui dit :

« Tu es peut-être affligé, ô ‘Hodsaïfa, de la mort de ton père, de ton frère et de ton oncle? »
Hodsaïfa répondit : « Non, Ô apôtre de Dieu, je n’en suis pas affligé, puisque Dieu a donné la victoire au Prophète et qu’il a fait triompher les musulmans. Mais mon père était un homme très intelligent et sage; j’avais espéré que Dieu le favoriserait de l’islamisme; je regrette qu’il ait quitté le monde dans l‘incrédulité. »

Le Prophète le consola et lui donna des éloges.

Il y eut désaccord parmi les musulmans au sujet du butin et des prisonniers. Quelques-uns ne voulaient pas consentir à un partage général. Mais Sa‘d, fils de Mo‘âds, dit:

« Moi et mes compagnons des Ansars, qui avons gardé le Prophète en restant à l’entrée de la cabane, nous avons aussi droit au butin. »

Puis on proposa de réunir tout le butin devant le Prophète pour connaître son avis. Tout en discutant, ils lui demandèrent comment ils devaient agir. Le Prophète ne prit aucune décision, parce que, dans toutes les religions, dans celle du Pentateuque comme dans celle de l‘Évangile, le butin est une chose sacrée. Il attendit une révélation divine.

Enfin Dieu lui révéla le verset suivant :

« Ils t’interrogent au sujet du butin. Dis: « Le butin est à Allah et à Son messager. » Craignez Allah, maintenez la concorde entre vous et obéissez à Allah et à Son messager, si vous êtes croyants. »

(Coran 8 Verset 1)

Le Prophète ne prit aucune décision, car Dieu n’avait pas manifesté sa volonté.

On réunit tout le butin et les prisonniers en un seul endroit, et l’on y plaça un gardien, l’un des Ansars, nommé ‘Abdallah, fils de Ka‘b, de la tribu de Naddjâr. Le Prophète lui ordonna de rester a son poste jusqu‘à ce que Dieu fût fait connaître sa volonté.

Le lendemain de la bataille, le Prophète envoya Zaïd, fils de ‘Hâritha, à Médine, pour annoncer sa victoire aux musulmans qui y étaient restés. Il avait laissé sa fille Ruqayyah malade. Quand Zaïd arriva à Médine, il rencontra au cimetière ‘Othman; il venait d’enterrer Ruqayyah, qui était morte.

 Zaîd s’assit au bord de la tombe de Ruqayyah, avec ‘Othman; les

fidèles se réunirent autour de lui et lui demandèrent des nouvelles. Il leur raconta la victoire et la manière dont tout s’était passé; il nomma tous les nobles Qorayshites qui étaient morts, ‘Otba, son frère et son fils, Abou Jahl, Omayya, et tous les autres, enfin tous ceux qui avaient été faits prisonniers, et particulièrement ‘Abbâs, fils d’Abdoul Muttalib. ‘Othman, tout à fait étonné, cligna des yeux et dit :

« Ô Dieu, est-ce un rêve ou suis-je éveillé? »

Le premier qui rapporte la nouvelle de la bataille à la Mecque fut Al ‘Haïsoumän, fils d’Abdallah, le Khozâ‘ite, qui, ayant un chameau rapide, avait précédé tous les autres.

Il n’était resté à la Mecque, des grands personnages, que Safwân, fils d‘Omayya; Abou Lahab, fils d’Abdoul Muttalib; Talib, fils d‘Abou Talib, et Abou Sofyân, fils de ‘Harb.

Ils se trouvaient réunis tous les quatre dans le temple avec quelques autres Qorayshites, attendant que quelqu‘un vint apporter des nouvelles. Tout à coup quelqu’un entra dans le temple et leur dit :

« Al ‘Haïsoumän, le Khozâ‘ite, est arrivé; il est dans le Bat‘hâ, au milieu d‘une foule de gens. Il raconte que l’armée qorayshite a été mise en fuite, que tous les chefs ont été tués ou faits prisonniers. »

Safwân envoya pour qu’on amenât cet homme au temple. Il vint, s’assit en face de Safwân et raconta la défaite. Ils furent tous stupéfaits. Il leur nomma ensuite ceux d’entre les chefs qui avaient été tués ou faits prisonniers. Il passa sous silence le nom d’Omayya, fils de Khalaf , ne voulant pas le dire en présence de Safwân.

Comme il énumérait ainsi un grand nombre de personnes et de chefs, Safwân ne le croyait pas; il dit :

« Cet homme est fou, il ne sait pas ce qu’il dit; il ne connaît personne. Si vous voulez vous convaincre qu’il est fou et qu’il dit tout cela dans sa folie, demandez-lui ce qui est advenu de moi, pour voir ce qu’il dira, vous reconnaitrez qu’il est fou. »

Ils lui demandèrent donc ironiquement des nouvelles de Safwân. Il répondit:

« Safwân est ici, assis près de vous; vous vous moquez de moi. Mais, par Dieu! son père Omayya et son frère ‘Ali ont été tués. »

En entendant ces paroles, Safwân poussa des cris et se mit à pleurer, de même que tous les autres. Il y eut des cris et des lamentations dans toute la ville.

Ahou Lahab était malade; lorsqu’il apprit cet événement, la douleur produisit en lui une dysenterie, et, le lendemain, son corps, couvert de pustules noires pestilentielles, se décomposa, et il mourut.

Son cadavre resta trois jours dans sa maison; personne ne pouvait le toucher ni l’enterrer, à cause de sa putréfaction et de sa puanteur. Enfin, son fils ‘Otba démolit la maison et le laissa sous les décombres.

Les pleurs et les gémissements continuaient à la Mecque nuit et jour.

Le Prophète, le jour où il envoya la nouvelle de sa victoire à Médine, réunit tous ses hommes dans le camp pour délibérer sur le sort des prisonniers et sur le butin. Mohammed ayant demandé un avis, ‘Omar, fils d‘Al Khattâb, se leva et dit :

« Je pense que tu dois faire mourir tous les prisonniers. Ordonne que chacun tue le prisonnier qui est son parent. Ainsi, dis à ‘Ali de tuer son frère ‘Aqîl, et à ‘Hamza de tuer ‘Abbâs; car Dieu sait que ces incrédules n’ont aucune place dans nos cœurs et que nous n’avons plus d‘amour et d‘affection pour eux.

Chacun doit tuer son parent de sa main, pour qu’il ne surgisse pas d’hostilité [entre deux tribus], ce qui arrivera si les prisonniers sont mis à mort par des étrangers. Quant à ce butin, il faut l’enfouir sous terre. »

‘Abbâs, assis au milieu des prisonniers, dit à ‘Omar:

« Ô ‘Omar, tu supprimes la pitié; que Dieu te prive de pitié ! »

Le Prophète ne fut pas content de cet avis; il demanda une autre opinion. ‘Abdallah, fils de Rewâ‘ha, l’un des héros des Ansars, dit :

« Ô apôtre de Dieu, mon opinion est que tu choisisses une vallée; tu la feras remplir de bois et brûler tout ce butin; ensuite tu feras jeter dans le feu les prisonniers. »

‘Abbâs répéta les paroles qu’il avait adressées à ‘Omar.

Le Prophète, mécontent aussi de cet avis, en demanda de nouveau un autre. Abou Bakr parla ainsi :

« Ô apôtre de Dieu, ces hommes sont tous tes oncles et tes cousins, aussi bien que les nôtres. Dieu nous a donné la victoire sur eux; maintenant nous devons avoir pitié d’eux, et les relâcher contre une somme d’argent. Ils sont de condition élevée et riches; chacun d’eux doit se racheter. Ceux-là alors seront libres, et les croyants en auront obtenu des avantages et de la puissance. »

Le Prophète fut satisfait de cet avis; il sourit et dit:

« Ô Abou Bakr, il en est d’Omar comme de Gabriel, que Dieu envoie partout où il y a un châtiment ou un fléau à porter, comme au peuple de Lot et au peuple de Pharaon. Toi, tu es comme l’ange Michael, que Dieu envoie toujours pour porter la clémence; c’est lui qui porte la pluie, qui porte la clémence de Dieu au peuple de Jonas, qui en détourne le châtiment, et qui fait sortir Jonas du ventre du poisson. Tu es encore comme Abraham, qui, par pitié pour son peuple, a dit :

« Ô mon Seigneur, elles (les idoles) ont égaré beaucoup de gens. Quiconque me suit est des miens. Quant à celui qui me désobéit… c’est Toi, le Pardonneur, le Très Miséricordieux !»

(Coran 14 Verset 36)

Tu es comme Jésus, qui a dit:

« Si Tu les châties, ils sont Tes serviteurs. Et si Tu leur pardonnes, c’est Toi le Puissant, le Sage »

(Coran 5 Verset 118)

‘Omar est comme Noé parmi les prophètes; car Noé a dit:

« Et Nuh (Noé) dit: « Seigneur, ne laisse sur la terre aucun infidèle. »

(Coran 71 Verset 26)

Il est comme Moïse, qui a dit:

« Et Musa (Moïse) dit: « Ô notre Seigneur, Tu as accordé à Fir’awn (Pharaon) et ses notables des parures et des biens dans la vie présente, et voilà, Ô notre Seigneur, qu’avec cela ils égarent (les gens loin) de Ton sentier. Ô notre Seigneur, anéantis leurs biens et endurcis leurs cœurs, afin qu’ils ne croient pas, jusqu’à ce qu’ils aient vu le châtiment douloureux. »

(Coran 10 Verset 88)

Vous avez raison l’un et l‘autre; maintenant attendons ce qu’ordonnera Dieu. »

Pendant la séance même, Dieu révéla le verset suivant:

« Un prophète ne devrait pas faire de prisonniers avant d’avoir prévalu [mis les mécréants hors de combat] sur la terre. Vous voulez les biens d’ici-bas, tandis qu’Allah veut l’au-delà. Allah est Puissant et Sage.
N’eût-été une prescription préalable d’Allah, un énorme châtiment vous aurait touché pour ce que vous avez pris. [de la rançon]Mangez donc de ce qui vous est échu en butin, tant qu’il est licite et pur. Et craignez Allah, car Allah est Pardonneur et Miséricordieux.
Ô Prophète, dis aux captifs qui sont entre vos mains: « Si Allah sait qu’il y a quelque bien dans vos cœurs, Il vous donnera mieux que ce qui vous a été pris et vous pardonnera. Allah est Pardonneur et Miséricordieux.
Et s’ils veulent te trahir…, c’est qu’ils ont déjà trahi Allah [par la mécréance]; mais Il a donné prise sur eux [le jour de Badr]. Et Allah est Omniscient et Sage. »

(Coran 8 Verset 67 à 71)

Dans les anciennes religions, on brûlait le butin ou on le cachait sous terre, de sorte que personne ne put y toucher, et l’on tuait les prisonniers. Dans ce verset du Coran, Dieu dit :

« Tous les anciens prophètes, conformément à mes ordres, ont enfoui sous terre le butin et les prisonniers, tandis que vous avez envie de l’avoir. Je veux vous donner la récompense de l‘autre monde, mais vous désirez les biens de ce monde. »

Le Prophète ajouta encore :

« Si la décision de Dieu n’avait pas été de rendu le butin licite dans votre religion, il aurait envoyé sur vous un grand châtiment, parce que vous vous êtes tournés vers ce monde actuel, et que vous avez désiré les biens de ce monde. »
Le Prophète, après avoir récité ce verset, dit:
« Si vous aviez été atteints par ce châtiment, personne n‘aurait survécu, sauf ‘Omar. »

Enfin Dieu envoya l’autre verset, par lequel il rendit le butin licite. Le Prophète adopta et suivit le conseil d’Abou Bakr, et sa décision devint la loi. Le Prophète passa cette nuit au même endroit. Le lendemain, le dimanche, il leva le camp pour retourner à Médine. Le soir, à la station, ‘Abdallah, fils de Ka‘b, qui avait la garde des prisonniers, construisit une cabane à côté de celle du Prophète, et y mit les prisonniers, tandis qu’il garda l’entrée.

‘Abbâs, ayant les mains fortement attachées, gémissait de douleur. Le Prophète l‘entendit; il fut touché de compassion et ne put dormir. Vers minuit, il fit appeler ‘Abdallah et lui demanda pour quelle cause son oncle ‘Abbâs gémissait ainsi.

‘Abdallah répondit :

« Prophète de Dieu, ses mains sont fortement liées. »
« Il m’émeut si fort », reprit Mohammed, que, de la nuit, je n’ai pu trouver le sommeil.
« Je vais lui délier les mains », dit ‘Abdallah.
« Non », répliqua le Prophète, « mais relâche ses liens; car un oncle est un demi-père. »

‘Abdallah fit ainsi; les gémissements d’Abbâs cessèrent, et le Prophète s‘endormit.

Le lendemain, il continua sa route, emmenant les prisonniers et emportant le butin. Il fit halte à une station nommée Irqaz Zhabya. Il donna ordre de lui présenter les prisonniers. On les fit passer un à un devant le Prophète, qui était entouré de ses compagnons, tout armés. Lorsque le Prophète vit passer ‘Oqba, fils d’Abou Mo‘aït, le même qui lui avait craché au visage et que le Prophète avait fait vœu de tuer, il dit à ‘Ami :

« Va, ô ‘Ali, accomplis le vœu du Prophète. »
‘Ali ayant tiré son sabre pour le tuer, ‘Oqba s‘écria : « Ô Mohammed, si tu me fais tuer, qui aura soin de mes enfants? »
Le Prophète répondit : « Toi et tes enfants vous brûlerez dans l’enfer. »

Ensuite ‘Ali lui trancha la tête. On fit passer devant le Prophète Nadhr, fils de ‘Hârith, qui avait dit :

« Et quand ils dirent: « Ô Allah, si cela est la vérité de Ta part, alors, fais pleuvoir du ciel des pierres sur nous, ou fais venir sur nous un châtiment douloureux. »

(Coran 8 Verset 32)

C’est à propos de Nadhr que ce passage du Coran a été révélé, de même que, d’après certains auteurs, le verset :

« Si vous avez imploré l’arbitrage d’Allah vous connaissez maintenant la sentence [d’Allah] (…) »

(Coran 8 Verset 19)

Sur l’ordre du Prophète, ‘Âçim, fils de Thâbit, fils d’Abou Aqla‘h, tua Nadhr. ‘Âçim était l’un des Ansars. Mohammed ben Djarir dit dans les Chroniques de Tabari que Nadhr a été tué par ‘Ali, et ‘Oqba par ‘Âçim. Cette version est inexacte; la vraie version est celle raconter plus haut.

Quelques commentateurs prétendent que les paroles « (…) « Ô Allah, si cela est la vérité de Ta part, (…) » ont été prononcées, non par Nadhr, fils de ‘Hârith, mais par Nadhr, fils d’Alqama, le jour de la prise de la Mecque, ou à la bataille de ‘Honaïn.

Le lendemain, le Prophète arriva à Safrâ, bourg qui est situé entre deux montagnes. Il ne s’y arrêta pas, passa entre les montagnes et alla faire halte au bord d’un puits, à une station nommée Arwâq. Là il partagea le butin entre ses compagnons.

Le Prophète avait un barbier, qu’on appelait Abou-Hind; il était affranchi de Farwa, fils d’Amrou, et était resté à Médine. Lorsqu’il apprit la nouvelle de la victoire, il alla au-devant du Prophète jusqu’à cette station. Il apporta un vase de ‘haïs, fait de dattes et de lait, et le présenta au Prophète, qui appela ses compagnons et mangea avec eux; et ils burent de l’eau qu’ils puisèrent dans le puits. On rapporte que, lorsque le vase fut vide, le Prophète invita chacun de ses compagnons à y mettre quelque chose de sa part du butin, et qu’il le rendit ainsi rempli au barbier.

Le Prophète quitta cette station et se dirigea vers Médine, après avoir ordonné à ‘Abdallah, fils de Ka‘b, et à ses compagnons de garder les prisonniers jusqu’à leur arrivée à Médine et jusqu’au moment où ils seraient rachetés. Il arriva avec l’armée à Rau‘hâ, station bien connue, à une étape de Médine. Les habitants de Médine sortirent de la ville et vinrent saluer le Prophète. Il était assis lorsqu’ils arrivèrent, et l’un des principaux Ansars, nommé Osâma, fils de Salama, se tenait devant lui avec son sabre.

C’était un homme très brave, qui avait fait preuve d’un grand courage dans le combat, et qui avait tué plusieurs Qorayshites.

On lui demanda comment il était arrivé que tous ces nobles qorayshites avaient été tués. Il répondit :

« Ils étaient comme de faibles vieillards, quand nous les avons attaqués; ils étaient comme des prisonniers ayant les mains et les pieds liés, et destinés à être mis à mort; nous les avons tués un à un. »

Le Prophète fut blessé de ces paroles, qui jetaient le mépris sur les Qorayshites, ses compatriotes. Il apostropha cet homme en ces termes :

« Tais-toi! c’étaient des nobles Qorayshites; c’est Dieu qui les a mis en fuite, ils ont été frappés par les anges. »

Le Prophète quitta ce lieu et vint à Médine. Il descendit chez sa femme Sauda (Sawda), fille de Zam‘a. Zam‘a, fils d’Aswad, était l’un des principaux Qorayshites; il avait été tué dans le combat, lui et ses frères ‘Hârith et ‘Aqil. Aswad, fils d’Abd Yaghouth, leur père, un vieillard décrépit, vivait à la Mecque.

Sauda avait appris la mort de son père et de ses oncles, et lorsque le Prophète arriva chez elle, elle se mit à pleurer.

Le Prophète en fut attristé, et le soir il quitta sa maison et alla dans celle d’Aïcha, où il passa la nuit.

Le lendemain matin, ‘Abdallah, fils de Ka‘b, amena les prisonniers. Il demanda chez laquelle de ses femmes le Prophète était descendu. On lui dit que c’était chez Sauda; car on ne savait pas qu’il était allé ensuite chez ‘Aïcha. En conséquence, ‘Abdallah conduisit les prisonniers à la maison de Sauda. Quand celle-ci vit des chefs qorayshites, comme ‘Abbas, fils d’Abdoul Muttalib, comme ‘Aqîl, fils d’Abou Talib,

Sohaïl, fils d’Amrou, et comme ‘Amrou, fils d’Abou Sofyân, ayant les mains liées, elle eut une si grande surprise et en fut si affligée, qu’elle oublie son propre malheur et sa douleur; elle dit à Sohaïl, fils d’Amrou : « C’est ainsi, Ô gamins, que vous avez tendu vos mains ignominieusement pour être faits prisonniers? Pourquoi n’avez-vous pas combattu pour être tués en combattant, comme mon père et ses frères? »

Le Prophète fut averti qu’on avait conduit les prisonniers dans la maison de Sauda, parce qu’on l‘avait cru chez elle. Il se rendit chez elle, et, en entrant par la porte, il la trouva causant avec Sohaïl. Il entendit ses paroles et en fut très irrité.

Il lui dit :

« Ô Sauda, tu excites les infidèles contre Dieu et le Prophète! Dans sa colère, il n’entra pas dans la maison et ne s’assit pas; il la répudia sur le champ et retourna chez ‘Aïcha, où l’on conduisit aussi les prisonniers. »

Mohammed remit chaque prisonnier à celui qui l’avait pris, pour être gardé par lui jusqu’à ce que quelqu’un vint de la Mecque pour le racheter.

Sauda pleura toute la journée à cause de la mort de son père et de ses oncles, et parce qu’elle avait été répudiée par le Prophète. Elle souffrait la honte et la disgrâce de Dieu et de son prophète. Malgré les prières et les instances qu’elle fit transmettre au Prophète, celui-ci ne lui pardonna pas.

Tandis que Sauda pleurait à Médine, Aswad, fils de Yaghouth, son grand-père, vieux, impuissant et aveugle, pleurait à la Mecque la mort de ses trois fils. La douleur lui inspirait des élégies qu’il envoyait à Sauda et qui faisaient verser à celle-ci de nouvelles larmes. Dans l’une de ces poésies, il était dit qu’ayant entendu à la Mecque pleurer une femme, Aswad en avait demandé la cause. On lui avait répondu que cette femme avait perdu un chameau, et qu’elle pleurait cette perte. Il disait donc dans sa pièce de vers :

« Si cette femme doit tant pleurer la perte d’un chameau, et en être privée de sommeil, comment ne pleurerais-je pas et combien ne dois-je pas pleurer la mort de mes fils! »

Les femmes de Médine disaient à Sauda de demander au Prophète l’autorisation de retourner à la Mecque auprès de son grand-père. Sauda leur répondit :

« Comment puis-je faire supporter à ce vieillard aveugle les deux disgrâces, celle de la mort de ses fils et celle du renvoi de sa petite-fille? »

Sauda était une femme déjà avancée en âge. Elle savait que le Prophète avait pour ‘Aïcha plus d’amour que pour toutes ses autres femmes. Elle se tint tranquille jusqu’au moment où il se rendit à la maison d’Aïcha. Alors elle s’y rendit aussi, lui parla en personne et lui demanda pardon des paroles qu’elle avait dites. Le Prophète lui pardonna. Ensuite elle lui dit :

« Ô apôtre de Dieu, je suis une femme vieille, et en te priant de me reprendre pour femme, ce qui me fait agir n’est pas le désir d’obtenir ce que doivent rechercher dans un mari les autres femmes; mais ce que je désire, c’est d’être comprise, au jour de la résurrection, dans le nombre de tes femmes, lorsqu’elles seront appelées de leurs tombes dans le paradis. Reprends-moi, et les nuits que tu devrais passer avec moi quand mon tour viendrait, passe les avec ‘Aïcha, qui alors, tandis que les autres femmes n’auront qu’un seul tour, en aura deux. »

‘Aïcha pria également le Prophète, qui, enfin, reprit Sauda comme épouse.

Le Prophète avait donc confié chaque prisonnier entre les mains de celui qui l’avait pris, pour y être gardé jusqu’à ce que les parents de chacun vinssent de la Mecque pour les racheter. Les gens de la Mecque voulurent alors se rendre à Médine, chacun avec la rançon de son parent. Ahou Sofyân leur dit :

« Ne vous hâtez pas trop de réclamer vos prisonniers. Moi aussi, j’y suis intéressé. Mon fils ‘Hanzhala a été tué, et mon autre fils ‘Amrou est prisonnier. Si vous montrez trop d’empressement, en offrant des sommes considérables, Mohammed fixera un taux trop élevé; attendez quelque temps. »

Il y avait parmi les prisonniers un homme nommé Abou Wadâ‘a, l’un des commerçants de la Mecque. Il avait un fils nommé Mottalib, qui ne voulut pas attendre; il se rendit à Médine, racheta son père et le ramena à la Mecque. Alors les autres allèrent également chercher leurs parents, ou les envoyèrent chercher.

Sohaïl, fils d’Amrou, avait un fils nommé Mikraz, qui était prisonnier avec lui. Sohaïl pria le Prophète de garder son fils comme otage et de le laisser partir lui-même pour aller chercher l’argent de sa rançon et de celle de son fils. Le Prophète consentit à le laisser partir.

Le Prophète FIt venir ‘Abbâs, fils d’Abdoul Muttalib, et lui dit :

« Tu es, mon oncle, de tous les prisonniers le plus considérable et le plus riche. Rachète-toi toi-même, ainsi que tes neveux ‘Aqîl, fils d’Abou Talib, et Naufal, fils d’Hârîth, et ton client ‘Otba, qui tous les trois sont trop pauvres pour pouvoir se racheter. »
‘Abhâs répliqua :
« Ô Mohammed, j’ai été croyant à la Mecque, et l’on m’a forcé d’aller avec l’armée. »
Le Prophète dit : « Dieu sait si tu as été croyant ou non. Cependant, en réalité, tu as été avec les infidèles, et c’est dans l’armée des infidèles que tu as été fait prisonnier. »
‘Abbâs dit : « Cet Aboul Laïth, qui m’a fait prisonnier, m’a pris vingt dinârs; considère cet argent comme ma rançon. »
« C’est là », dit le Prophète, « un présent que Dieu a fait aux musulmans. »
« Tu m’appauvris », dit ‘Abbâs, « je n’ai pas une fortune assez grande pour payer la rançon de tant de prisonniers. »
Le Prophète lui répondit : « Que sont devenus, mon oncle, les dinars que tu as confiés, en quittant la Mecque, à Oum Fadhl, en lui disant que, s’il t’arrivait malheur, il devrait distribuer cet argent entre tes quatre fils? »
« Comment le sais-tu, ô Mohammed ? »
« C’est Dieu qui m’en a averti », répondit le Prophète.
‘Abbâs s‘écria : « Ton dieu est le maitre des secrets. Tends-moi la main, afin que je déclare que Dieu est un et que tu es son prophète, en vérité. » Il ajouta: « Personne n’avait connaissance de ce fait en dehors de moi et d’Oum Fadhl. »

Après avoir prononcé la formule de foi, ‘Abbâs paya la rançon des trois autres, qui embrassèrent également l’islamisme. Dieu a révélé, à l’intention d’Abbâs, le verset suivant:

« Ô Prophète, dis aux captifs qui sont entre vos mains: « Si Allah sait qu’il y a quelque bien dans vos cœurs, Il vous donnera mieux que ce qui vous a été pris et vous pardonnera. Allah est Pardonneur et Miséricordieux. » 

(Coran 8 Verset 70)

‘Abbâs, après avoir embrassé l’islamisme, devint plus riche qu‘il n’avait été auparavant, et il disait:

« Dieu m’a promis des biens dans ce monde et le pardon dans l’autre; il a réalisé sa promesse en ce qui concerne ce monde; j’espère que, pour l’autre monde, il la réalisera également. »

On disait à Abou Sofyân : « Envoie la rançon de ton fils. »

Abou Sofyân, qui était un homme avare, répondait : « Ils m’ont tué l’un de mes fils; je ne peux pas racheter l’autre, et perdre ainsi un fils et ma fortune. Qu‘ils gardent mon fils jusqu’à ce qu’ils en soient las. »

Il le laissa ainsi un long espace de temps en captivité. Enfin, un des Ansars, un vieillard, nommé Sa‘îd, fils d’Abder Rahmân, qui était venu à la Mecque pour visiter les lieux saints et qui n’avait été inquiété par personne, fut saisi par Abou Sofyân. Celui-ci le prit comme gage de la vie de son fils et lui dit :

« Je te donnerai la liberté quand Mohammed me rendra mon fils; s’il le fait mourir, je te tuerai également. »

Sa‘id fit avertir sa famille, les Beni Naddjâr, afin qu’ils intercédassent auprès du Prophète. Celui-ci renvoya ‘Amrou, fils d’Abou Sofyân, à la Mecque, et Abou Sofyân renvoya Sa‘îd à Médine. Le Prophète, au moment de sa fuite à Médine, avait laissé à la Mecque deux de ses filles dans les demeures de leurs maris, qui étaient incrédules. Il les avait mariées du vivant de Khadîdja, avant sa mission. L’une de ces deux filles était Ruqayyah, mariée à ‘Otba, fils d’Abou Lahab, et l’autre, Zaynab, était l’épouse d’Aboul ‘Âç, fils de Babî‘a, fils d’Abdoul ‘Ozza, fils d’Abd Schams.

Après le départ du Prophète, les Qorayshites appelèrent ses deux gendres et leur dirent :

« Répudiez vos femmes, les filles de Mohammed; nous les expulserons de la ville, afin qu’elles suivent Mohammed. Vous épouserez d’autres femmes; nous accorderons à chacun de vous une fille issue d’une famille noble, celle qu’il désirera épouser. »

En conséquence, ‘Otba, fils d’Abou Lahab, répudia sa femme Ruqayyah et épousa la fille de Sa‘îd , fils d’Âci, nièce d’Amrou , fils d’Âci.

Mais Aboul ‘Âç ne voulut pas répudier sa femme Zaynab, qu’il aimait et dont il était aimé. Il dit aux Qorayshites qu’il ne la renverrait pas, quand même ils le tueraient. Aboul ‘Âç était un commerçant connu à la Mecque pour sa grande probité.

Ruqayyah se rendit à Médine, où le Prophète la maria à ‘Othman. Or, lorsque, à la bataille de Badr, Aboul ‘Âç fut fait prisonnier et que le Prophète exigea une rançon pour chaque prisonnier, il dit aussi à Aboul ‘Âç de se racheter et d’envoyer quelqu’un pour chercher l’argent.

Aboul ‘Âç le fit demander à Zaynab, et celle-ci réunit tout ce qu’elle put; mais la somme n’était pas suffisante. Alors elle y ajouta un collier de perles, de cornalines du Yémen et de rubis, qu’elle avait reçu de sa mère Khadîdja, le jour de son mariage avec Aboul ‘Âç.

Le jour du mariage, en donnant la dot à sa fille, Khadîdja demanda à Mohammed la permission de lui donner aussi ce collier, qu’elle portait elle-même; le Prophète l’ouvrit et le mit de sa propre main au cou de Zaynab. C’est ce collier qu’elle envoya au Prophète avec l’argent pour la rançon de son mari.

Lorsque le Prophète le vit, il le reconnut aussitôt pour l’avoir vu au cou de Khadîdja, et aussi au cou de Zaynab. Le souvenir de Khadîdja se réveilla en lui, et aussi l’affection pour Zaynab, et les larmes lui vinrent aux yeux; il dit :

« Zaynab a dû se trouver dans une bien grande peine, pour ôter de son cou le souvenir de sa mère Khadîdja. »

Les croyants, voyant le Prophète pleurer, lui dirent :

« Ô apôtre de Dieu, nous t’abandonnons ce collier et cette rançon de bon cœur; renvoie-le a Zaynab, si tu veux, ou emploie-le selon ton plaisir. Nous tous, les croyants, nous te laissons maître de notre part, et nous donnons la liberté à Aboul ‘Âç. »

Le Prophète les remercia et dit à Aboul ‘Âç: « Ma fille ne peut plus t’appartenir, d’après la loi, car elle est musulmane, et toi, tu es incrédule. Lorsque tu seras de retour à la Mecque, renvoie-moi ma fille. »

Il lui rendit le collier et l’argent, et fit partir avec lui l’un des Ansars, un vieillard, et Zaïd, fils de ‘Hâritha, entre les mains duquel Aboul ‘Âç devait remettre Zaynab, pour qu‘il l‘amenât à Médine. Ils partirent ensemble. Arrivés à la dernière station avant la Mecque, ils s’arrêtèrent, et Aboul ‘Âç entra dans la ville, promettant de faire monter, le lendemain, Zaynab dans une litière et de la faire escorter jusqu’à cet endroit.

Aboul ‘Âç avait un frère, nommé Kinâna, fils de Babi‘a, le meilleur archer de toute la Mecque, à qui il confia Zaynab, en lui disant :

« Fais la monter dans cette litière, sur ce chameau, et conduis là au dehors de la ville jusqu’à la première station; tu la remettras aux compagnons de Mohammed, qui la conduiront auprès de son père, et tu reviendras. »

Kinâna prit son arc et son carquois rempli de flèches, jeta la bride au cou du chameau et partit en passant par le marché de la Mecque. Les gens disaient:

« Voilà la fille de Mohammed que l’on conduit à Médine. Il a tué nos fils, nous ne laisserons pas partir sa fille. »

Il s’éleva un tumulte, on suivit Kinâna et on l’atteignit en dehors de la ville. On voulut lui enlever le chameau et le ramener à la Mecque. Kinâna fit agenouiller le chameau, prit devant lui son carquois, ajusta une flèche sur son arc et jura qu’il tuerait quiconque s’approcherait, jusqu’à ce qu’il ne lui restât pas une seule flèche, et qu’ensuite il lutterait jusqu’à la mort.

Abou Sofyân avec d’autres personnages considérables survinrent et lui dirent:

« Ôte la flèche de l’arc, afin que nous approchions pour le parler. »

Kinâna ayant fait ainsi, ils vinrent auprès de lui et lui dirent :

« Nous n’avons rien à démêler avec toi. Cependant, dans cette ville il n’y a pas une maison qui n’ait été atteinte par le deuil. Si tu emmènes cette femme pendant le jour, les habitants ne peuvent pas rester patients. Ramène-la, à la vue des gens, à la maison, et fais-la sortir quand la nuit sera venue. »

 Kinâna fit ainsi. Quand toute la ville fut plongée dans le sommeil, il conduisit Zaynab en dehors de la ville et la remit à Zaïd, fils de Hâritha, qui l’emmena à Médine, auprès du Prophète.

Zaynab resta sans époux pendant quatre ans. Tous les principaux musulmans la demandèrent en mariage; mais le Prophète ne l’accorda à aucun d’eux. Au bout de quatre ans, une caravane des infidèles, parmi lesquels se trouvait Aboul ‘Âç, venant de Syrie, fut pillée et enlevée par les musulmans, lors de son passage sur le territoire de Médine. Aboul ‘Âç se sauva, vint pendant la nuit à Médine et se rendit dans la maison de Zaynab. Le lendemain, Zaynab avertit le Prophète et demanda sa protection pour Aboul ‘Âç. Le Prophète accorda sa protection et dit : « Ma fille, garde-le dans ta maison, mais prends garde qu’il ne s’approche de toi ; car tu ne dois pas avoir de rapports avec lui. »

Ensuite il fit dire à ceux des musulmans qui avaient enlevé les biens d’Aboul ‘Âç :

« Vous savez quelle est la situation d‘Aboul ‘Âç par rapport à moi. C’est un homme qui, quoiqu‘il soit incrédule, n’a jamais fait de tort  à personne; c’est un commerçant très honnête. Si vous ne lui rendez pas ses biens, il sera obligé de les rembourser à leurs propriétaires. Rendez les-lui , vous aurez fait une bonne action; car ces marchandises lui ont été confiées par d‘autres.

Je vous en serai reconnaissant. Si vous ne les rendez pas, vous êtes dans votre droit, car elles vous appartiennent légitimement. »

Les musulmans réuniront toutes ces marchandises et les portèrent au Prophète, qui les rendit à Aboul ‘Âç.

Celui-ci retourna à la Mecque, et remit les marchandises à leurs différents propriétaires; tous furent satisfaits et aucun d‘eux n’eut rien à réclamer de lui. Ensuite il revint à Médine, embrassa l’islamisme, et le Prophète lui rendit Zaynab. Quelques-uns disent qu’il célébra de nouveau le mariage; d‘autres prétendent qu’il ne fit que rétablir les droits de l’ancien mariage.

Il y avait, parmi les Qorayshites, un homme nommé ‘Omaïr, fils de Webb, de la tribu de Djouma‘h, brave et intrépide; mais il était pauvre et vagabond. Il avait accompli de nombreux actes de bravoure et de témérité. Ce fut lui qui, le jour de Badr, avait reconnu la force de l’armée du Prophète. Il était réputé pour son habileté à estimer la force d’une armée et pour sa connaissance des routes du désert. Le jour de Badr, il avait avec lui son fils, nommé Wahb. Lorsque l‘armée qorayshite fut défaite, il se sauva; mais son fils fut fait prisonnier. Un jour, il causait, dans le temple, avec Safwân, fils d’Omayya, de l’affaire de Badr. Affligé de ce que son fils était prisonnier, ‘Omaïr dit:

« Je n’ai pas d’argent pour payer sa rançon. Si je n’avais pas une nombreuse famille, que je crains de laisser dans la misère après moi, j’irais à Médine, sous prétexte de racheter mon fils, et y attendrais le moment où je rencontrerais Mohammed à un endroit isolé, et je le tuerais, quand même j’y devrais trouver la mort. »
Safwân lui dit : « Je me charge de tes enfants; je les entretiendrai aussi longtemps que je vivrai. »
« Mais j’ai des dettes » dit ‘Omaïr. 
« Je payerai aussi tes dettes », répliqua Safwân.

Omaïr, ayant reçu de Safwân des armes et tout ce qui lui était nécessaire pour le voyage, quitta la Mecque pour aller à Médine.

Gabriel vint auprès du Prophète et lui fit connaître ce complot et l’arrivée d’Omaïr.

Le Prophète, se trouvant dans la mosquée, vit entrer par la porte ‘Omaïr; il lui demanda :

« Que viens-tu faire ici? »
‘Omaïr répondit : « Je viens pour mon fils, qui est prisonnier. Je suis pauvre et n‘ai pas de quoi payer sa rançon. Je suis venu pour te prier de lui montrer de la clémence et de le délivrer de la captivité. »
Le Prophète dit : « Tire ton sabre du fourreau. » Le sabre était flamboyant. Le Prophète reprit : « Chien, est-ce avec un sabre pareil que l’on va chercher un prisonnier? Qu‘avez-vous concerté, toi et Safwân, fils d’Omayya, dans le temple de la Mecque? Dans quel but ta-t-il envoyé ici? »
‘Omaïr fut stupéfait; il dit: « Ô Mohammed, qui t’a appris ce fait? »
« Dieu me l’a appris », réplique le Prophète.
« Par le dieu qui t’a donné ta mission prophétique », dit ‘Omaïr, « je n’ai communiqué à personne ce secret, qui n‘est connu que de moi et de Safwân! Présente-moi la formule de foi, afin que je déclare qu’il n’y a qu’un Dieu et que tu es son prophète. »

‘Omaïr embrassa l’islamisme, et le Prophète donna la liberté à son

fils, qui se fit également musulman. Ils retournèrent à la Mecque, et le Prophète leur recommande de servir de guides dans le désert à ceux d‘entre les musulmans qui voudraient aller de la Mecque à Médine. Ils exécutèrent cet ordre du Prophète jusqu’à la mort d’Omaïr.

Il s’est écoulé treize mois entre le combat de Badr et celui d’Ohod. Le Prophète revint du combat de Badr quatre jours ou, d’après une autre version, sept jours avant la fin du mois de ramadhan. L‘année suivante, la troisième de l‘hégire, au mois de Chawal, le septième jour du mois, il partit pour Ohod.


Et Allah Seul Sait….
Sur ce, Que la Paix de Dieu soit sur vous et vous accompagne partout où vous êtes.

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