Le Danger Des Rumeurs
Nul doute que dans les périodes troubles, la propagande s’active et les passions se ravivent. C’est alors qu’intervient le rôle de la rumeur.
Comme chacun le sait, s’assurer des informations que l’on reçoit est une prescription religieuse établie par la Parole de Dieu :
« Ô vous qui avez cru ! Si un pervers vous apporte une nouvelle, vérifiez-la – ou assurez-vous en d’après un autre lectionnaire – de crainte que, par inadvertance, vous ne portiez atteinte à des gens et que vous ne regrettiez par la suite ce que vous avez fait »
(Coran 49 Verset 6)
Le Législateur nous a fortement mis en garde de diffuser autour de nous tout ce que nous entendons. Ainsi Hafs Ibn `Âsim rapporte-t-il que le Messager de Dieu (saw) dit :
« L’individu ment déjà suffisamment s’il rapporte tout ce qu’il entend ».
D’après Abû Hurayrah, le Prophète (saw) dit :
« L’individu pèche déjà suffisamment s’il rapporte tout ce qu’il entend »
(As-Silsilah As-Sahîhah (La Série authentique).
An-Nawawy commente ce hadith en ces termes :
« L’individu entend généralement des propos vrais et d’autres mensongers. S’il rapporte tout ce qu’il entend, il aura menti, puisqu’il aura dit des choses non avérées. Le mensonge consiste en effet à dire ce qui n’est pas, même si c’est de manière involontaire. »
D’après Al-Mughîrah Ibn Shu`bah, le Prophète (saw) dit :
« Dieu vous a rendu illicite l’ingratitude envers vos mères, l’enterrement de vos filles (vivantes), l’avarice et l’avidité ; et Il vous a rendu détestable la colportation des rumeurs, les questions incessantes et le gaspillage de l’argent »
(Rapporté par Al-Boukhâri.)
Le Hâfidh Ibn Hajar commente ce hadith en ces termes :
« Pour ce qui est de la phrase « et Il vous a rendu détestable le colportage des rumeurs », Al-Muhibb At-Tabarî dit : « La signification de ce propos admet trois cas de figure :
- Il indique qu’il est détestable de trop parler, de crainte que les paroles soient sujettes à interprétation.
- Il s’adresse aux personnes qui diffusent et cherchent à connaître les informations qui se répandent parmi les gens. L’interdiction énoncée dans le hadith vise à prévenir tout abus dans ce comportement, ou à empêcher que soient véhiculées au sujet d’une personne des informations que cette dernière n’aimerait pas voir se répandre.
- Il s’adresse aux personnes qui discutent des divergences religieuses : un tel a dit, et tel autre a dit. Le caractère détestable de cette attitude apparaît en cas d’abus, car une personne peut d’autant plus se tromper qu’elle parle de manière abusive de ces sujets.
Le hadith concerne tout particulièrement les individus qui rapportent ces informations sans s’être assurés au préalable de leur authenticité, et qui se contentent de répéter naïvement ce qu’ils ont entendu. J’ajouterais que cela est corroboré par le hadith authentique rapporté par Muslim :
« L’individu pèche déjà suffisamment s’il rapporte tout ce qu’il entend ». »
D’après Abû Qulâbah, Abû Massoud dit à Abû `Abd-Allâh, ou le contraire : « Que pensait le Messager de Dieu (saw) des « on dit que » ? » L’autre répondit : « J’ai entendu le Messager de Dieu (saw) dire : « « On dit que » est une bien mauvaise monture pour l’homme » »
(As-Silsilah As-Sahîhah,)
Al-`Adhîm Âbâdî commente ce hadith en ces termes :
« La plus mauvaise habitude que peut prendre un homme est qu’il fasse de l’expression « on dit que » un moyen pour atteindre ses objectifs. Il répète ainsi ce qu’il entend sans s’assurer des informations qu’il rapporte. S’il se trompe dans une de ses allégations, il ne sera plus crédible, puisqu’il aura menti ».
Pour cette raison, nos pieux prédécesseurs se sont toujours efforcés de s’assurer des informations qui leur parvenaient, tout en évitant de colporter des rumeurs. Ainsi `Umar (ra) disait-il :
« Prenez garde aux troubles. Car l’effet de la langue y est similaire à celui de l’épée ».
L’Histoire nous a par ailleurs tracé le danger que constitue la rumeur si elle se répand au sein de la Communauté. En voici quelques exemples :
- Lorsque les Compagnons ont émigré de La Mecque vers l’Abyssinie, et qu’ils y étaient en sécurité, une rumeur se répandit parmi eux, prétendant que les païens qurayshites de La Mecque avaient embrassé l’Islam. Certains Compagnons quittèrent alors l’Abyssinie et retournèrent à La Mecque après un douloureux périple. Une fois arrivés, ils constatèrent à leur grand dam que la nouvelle était fausse, et ils furent torturés par les tyrans qurayshites. Tout cela à cause d’une rumeur.
- Pendant la bataille de Uhud, lorsque Mus`ab Ibn `Umayr fut tué, on propagea la rumeur qu’il s’agissait du Messager lui-même. Au cri de « le Messager de Dieu a été tué », les rangs de l’armée musulmane se desserrèrent, les uns fuyant vers Médine et les autres abandonnant le combat. Tout cela à cause d’une rumeur.
- Il y a également la rumeur de l’histoire de la calomnie, au cours de laquelle la pure et innocente `Âicha (ra) fut accusée d’avoir commis la turpitude. Cette rumeur constitua une rude épreuve pour le Messager de Dieu (saw) et pour les Musulmans. Tout cela à cause d’une rumeur. En voici le récit :
Du retour d’une expédition avec la Prophète (saw), lors d’une halte, Aïcha (ra) s’est éloignée du campement pour chercher son collier perdu alors que la caravane allait partir. Celle-ci s’en alla donc sans Aïcha (ra) qui se retrouva seule dans la nuit au milieu de nulle part, elle retourna alors à l’endroit du campement où elle s’endormit. Ce n’est qu’au matin qu’un Compagnon, Safwân ibn al-Mu’attal al-Salmî, chargé d’assurer l’arrière-garde, retrouva Aïcha (ra). Il la raccompagna donc pour rejoindre la caravane.
Quelques jours plus tard, des rumeurs malveillantes, initiées par ‘Abdullah ibn ‘Ubay ibn Salûl, commencèrent à circuler parmi des musulmans naïfs. D’ailleurs, un verset fut révélé concernant la diffusion de cette fausse rumeur :
« Et pourquoi, lorsque vous l’entendiez, ne disiez-vous pas : « Nous ne devons pas en parler. Gloire à Toi (ô Allah) ! C’est une énorme calomnie ? » »
(Coran 24/16).
Quand ces rumeurs arrivèrent aux oreilles du Prophète (saw), il en fut extrêmement choqué. De son côté, Aïcha (ra), qui trouvait le Prophète (saw) froid à son égard sans comprendre pourquoi, ne fut informée de ces racontars que plus tard, car elle était restée un moment alitée pour cause de maladie. Cette rumeur aggrava donc encore l’état de santé d’Aïcha (ra), néanmoins elle se décida à en chercher la source.
Le Prophète (saw) en fit de même et rassembla donc des témoignages solides qui le confortèrent dans l’idée que son épouse était innocente.
Convaincu de l’innocence d’Aïcha (ra), le Prophète (saw) monta sur le minbar et appela à exécuter le chef de cette sédition, ‘Abdallah ibn ‘Ubay ibn Salûl, et innocenta Safwân ibn al-Mu’attal al-Salmî. Hélas, les deux tribus médinoises, les ‘Aws et les Khazradj, entrèrent en conflit dans la mosquée au sujet de l’exécution d’Ibn Salûl. Le Prophète (saw) dut intervenir pour calmer les esprits.
Après cet épisode, le Prophète (saw) décida de se rendre chez Aïcha (ra) afin d’évoquer directement le problème avec elle. Le Prophète (saw) s’assit et prononça les deux témoignages de foi puis dit:
« Ô Aïcha, il m’est parvenu telle et telle chose sur ton compte ; si tu es innocente, Allah, exalté soit-Il, t’innocentera ; si tu as commis quelque faute, demande pardon à Allah et repens-toi auprès de Lui. En effet, si le serviteur reconnaît son péché puis se repent auprès d’Allah, exalté soit-Il, Allah, exalté soit-Il, accepte son repentir ».
Quand elle entendit ses paroles, elle sécha ses larmes puis se tourna vers son père et dit : « Répondez aux paroles du Messager d’Allah (saw) ». Il dit : « Par Allah je ne sais quoi dire au Messager d’Allah (saw) ». Puis elle se tourna vers sa mère qui donna la même réponse que son père. A ce moment elle dit : « Vous avez écouté ce récit qui a trouvé un écho dans vos âmes et vous y avez cru. Si je vous dis que je suis innocente, et Allah, exalté soit-Il, sait que je le suis, vous ne me croirez pas. Si j’avoue cette affaire, alors qu’Allah sait mon innocence, vous me croirez. Par Allah, je ne trouve rien d’autre à vous dire que la parole du père de Yusuf (as) :
« [Il ne me reste plus donc] qu’une belle patience ! C’est Allah qu’il faut appeler au secours contre ce que vous racontez ! »
(Coran 12 Verset 18).
Et c’est suite à cela que neufs versets clairs porteurs de l’innocence éternels d’Aïcha (ra) ont été révélés au Prophète (saw). Ces versets constituèrent autant de preuves irréfutables de sa vertu et de sa chasteté et révélèrent la réalité des hypocrites. Allah le Très Haut dit :
« Ceux qui sont venus avec la calomnie sont un groupe d’entre vous. Ne pensez pas que c’est un mal pour vous, mais plutôt, c’est un bien pour vous. A chacun d’eux ce qu’il s’est acquis comme pêché. Celui d’entre eux qui s’est chargé de la plus grande part aura un énorme châtiment. »
(Coran 24 Verset 11).
Le malheur se dissipa finalement et la peine du Messager (saw) se transforma en joie. Il lui dit : « Réjouis-toi Aïcha, Allah, exalté soit-Il, t’a déclarée innocente ». Sa mère lui dit : « Va le rejoindre ». Aïcha (ra) dit par reconnaissance de la révélation de son innocence par Allah, exalté soit-Il, et par confiance en la place qu’elle occupait dans le cœur du Prophète (saw) :
« Par Allah je n’irai pas à lui et c’est Allah Seul que je loue ».
Cette histoire terrible n’a pas besoin de commentaires, elle est pour nous l’occasion de rappeler à ceux qui véhiculent de fausses rumeurs qu’ils sont les proies d’un grave danger et qu’un châtiment très douloureux les attend.
Quelle méthodologie faut-il alors adopter dans le traitement de l’information ?
Il y a des caractéristiques générales du traitement de l’information, que nous évoquons brièvement ci-dessous :
- Rester calme et patient :
Le Prophète (saw) dit :
« La patience vient de Dieu et la précipitation vient du diable » - S’assurer de l’authenticité de l’information :
Dieu – Exalté soit-Il – dit :
« Ô vous qui avez cru ! Si un pervers vous apporte une nouvelle, vérifiez-la – ou assurez-vous en d’après un autre lectionnaire – de crainte que, par inadvertance, vous ne portiez atteinte à des gens et que vous ne regrettiez par la suite ce que vous avez fait »
(Coran 49 Verset 6)
Le motif de la révélation du précédent verset est comme suit.
Le Prophète (saw) envoya Al-Walîd Ibn `Uqbah Ibn Abî Mu`ayt chez la tribu des Banû Al-Mustaliq pour prélever les aumônes légales. Ces derniers furent heureux d’apprendre cette nouvelle. Ils décidèrent alors de sortir pour accueillir le Messager de Dieu (saw). Lorsqu’on informa Al-Walîd que la tribu était sortie à sa rencontre, il retourna chez le Messager de Dieu (saw) et lui tint ce propos :
« Ô Messager de Dieu, les Banû Al-Mustaliq refusent de payer l’aumône ».
Le Messager de Dieu (saw) se mit très en colère. Pendant qu’il réfléchissait s’il devait aller les combattre, la délégation de la tribu arriva et lui dit :
« Ô Messager de Dieu, nous avons appris que ton émissaire était revenu ici après être arrivé à mi-chemin. Nous avons craint qu’il ait reçu une lettre de ta part lui demandant de s’en retourner, alors que tu serais fâché contre nous. Nous demandons à Dieu de nous préserver de la Colère de Dieu et de la colère du Messager de Dieu ».
Le Messager de Dieu, peu convaincu par cette explication, les réprimanda et voulut les punir. C’est alors que Dieu révéla la probité de leur excuse dans le Coran :
« Ô vous qui avez cru ! Si un pervers vous apporte une nouvelle, vérifiez-là de crainte que, par inadvertance, vous ne portiez atteinte à des gens et que vous ne regrettiez par la suite ce que vous avez fait »
(Coran 49 Verset 6)
S’assurer de l’authenticité d’une information consiste à fournir tout l’effort possible pour connaître la véracité de cette information : est-elle vraie ou fausse ?
Vérifier l’information consiste par ailleurs à acquérir la certitude de sa véracité et de ses circonstances.
Al-Hasan Al-Basrî dit :
« Le croyant ne se prononce pas avant d’avoir vérifié »
En conclusion, nous enjoignons à tout un chacun de s’assurer des informations qu’il reçoit et de ne pas s’empresser de les diffuser, avant d’être certain de leur authenticité. Cela est également valable s’il s’agit d’une heureuse nouvelle, car si par la suite, il s’avère que la nouvelle est fausse, celui qui a rapporté l’information perdra toute crédibilité, et deviendra la risée de ses adversaires.