Rappels Islamiques

Les Ecoles de Jurisprudence Islamique

Les 4 "Madhaib"


Louange à Allah, que la prière et le salut soient sur son prophète Mohamed sur sa famille et sur tous ceux qui le suivent jusqu’au jour de la résurrection.


Les premiers siècles de l’Islâm connurent une floraison de tendances. Plusieurs d’entre elles cherchèrent à se systématiser, sans aboutir cependant à la constitution d’écoles durables. Ainsi les analyses, fort empiriques encore, de l’imâm al Awzâ‘î, ou encore celles de l’imâm Sufyân ath-Thawrî.

C’est au début de l’ère ‘abbâside, donc au troisième siècle de l’Hégire, que se constituèrent les quatre grandes écoles de droit musulman toujours vivantes.

Elles se partagent jusqu’à nos jours, toute l’étendue de l’Islâm sunnite.

Les caractéristiques générales

a. L’école hanafite: laxiste ?

On a coutume de présenter le hanafisme comme l’école juridique aux tendances les plus « laxistes ». A vrai dire, il serait fallacieux de l’accuser de telles tendances. Ce qui la caractériserait plutôt, c’est un effort pour développer le raisonnement juridique, ou, si l’on préfère, une certaine rationalisation des méthodes. En effet, on a vu que les Iraquiens étaient pauvres en traditions prophétiques. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’ils aient fait grand usage du raisonnement juridique et y soient devenus très habiles. Je me bornerai à souligner deux modalités de ces méthodes. L’école hanafite insiste sur l’utilisation non seulement du « jugement personnel » du prudents (ra’y), mais sur la finalisation de ce jugement par la recherche du mieux, jugement préférentiel (istihsân). En outre, la décision ainsi formulée doit avoir pour base un élargissement de la troisième source du droit, le qiyâs ou raisonnement analogique.

Les hanafites resteront célèbres pour leur recherche de la ‘illa, du motif causal qui fonde cette analogie. Telle est bien la note la plus marquante du hanafisme.

b. L’école mâlikite : libérale ?

On a souvent dit que l’imâm Malik était le seul des quatre imâms à autoriser le principe de l’intérêt indéterminé (al-maslaha al-mursala) et que celui-ci était donc allé plus loin dans « le sens libéral ». Or à y regarder de plus près on s’aperçoit que les trois autres imâms eux aussi autorisaient ce principe, quoiqu’ils ne le rangeassent pas parmi les sources légales du droit musulman en tant que telles, le considérant comme une des formes du raisonnement analogique. C’est ainsi que l’imâm Ahmad considérait l’intérêt indéterminé comme une des branches du raisonnement analogique, que l’imâm Ash-Shâfi’î l’appelait qiyâs et qu’Abû Hanifa le nommait istihsân… L’imâm Malik est surtout remarquable pour avoir ajouté, aux sources du droit connu des autres docteurs, un autre élément : la coutume de Médine. Pour cet imâm, la coutume de Médine est une des sources du droit musulman. On sait aussi l’importance accordée par l’imâm Malik à la fois au consensus des savants et à leur jugement personnel. Par ailleurs, l’école mâlikite est celle qui tient le plus compte de cette source secondaire qu’est le ‘urf ou coutume.

c. L’école shâfi‘ite : « syncrétiste » ?

Il serait erroné de percevoir l’école shâfi‘ite comme un mélange « éclectique » des avis prônés par les partisans du hadîth, et ceux défendus par les partisans du ra’y, comme l’ont prétendu certains. Car alors il faudrait poser que le shâfi‘isme est une simple juxtaposition d’éléments de provenances diverses sans qu’aucun principe d’ordre plus profond vienne les unifier et les constituer, ce qui ne peut pas être, pas plus qu’un tas de pierres ne saurait constituer un édifice. Il n’est que de voir la façon dont l’imâm Ash-Shâfi’î prendra ses distances par rapport au consensus de Médine, principe pourtant prôné par Malik, il n’est que de constater la manière dont il rejettera la recherche interminable des causes logiques, système cher à Muhammad Ibn al Hassan et à l’école hanafite, pour conclure à l’autonomie parfaite d’Ash-Shâfi’î par rapport à ses anciens maîtres. Plutôt, le shâfi‘isme se caractérise par une synthèse des deux écoles du hadîth et du ra’y, c’est-à-dire par une étude approfondie des principes de ces deux écoles pour en tirer des conséquences juridiques spécifiques. On dira en résumé que la réussite réelle du shâfi‘isme est d’avoir valorisé la Sunna comme source du droit, minimisant par-là l’apport du jugement prudentiel et préférentiel, et d’avoir élargi le consensus mâlikite limité à Médine, en un consensus général.

d. L’école hanbalite : rigoriste ?

Faire du hanbalisme l’école rigoriste par excellence serait une vue aussi fragmentaire et sommaire que de parler du « laxisme » hanafite ou du « libéralisme » mâlikite. Disons plutôt que l’école hanbalite, élaborée à partir des recueils de hadîth du grand traditionniste Ahmad Ibn Hanbal, déborde de beaucoup le domaine juridique tel qu’on l’entend au sens occidental du mot.

Le hanbalisme est avant tout une attitude moraliste. N’admettant par exemple que les traditions du Prophète (saw) et des premiers Compagnons, sans recours au jugement préférentiel (istihsân) ni à l’opinion personnelle (Ijtihad), le taqlîd ou acquiescement au passé prend chez eux une valeur non pas d’acceptation passive, mais d’intégration vivante à un passé toujours actuel.

Chez les hanbalites, le souci des valeurs morales primera volontiers la solution juridique ; fortement attachés aux notions de justice et de contrat, ils entendront en sauver l’esprit plutôt que la lettre.

L’école hanafite

L’école hanafite se maintint toujours, mais non exclusivement en ‘Irâq où elle est née, et en Syrie. Elle gagnera assez vite les territoires de l’est. L’Afghanistan lui a reconnu un statut préférentiel et elle est majoritaire parmi les sunnites du Pakistan, de l’Inde, de la Chine. Elle eut enfin toutes les faveurs des musulmans d’origine turque, en Asie centrale d’abord, mais surtout dans l’Empire ottoman dont elle fut le rite officiel. Elle domine à l’heure actuelle en Turquie, et reste présente, mais minoritaire, dans les pays arabes jadis sous tutelle ottomane.

L’école mâlikite

Née à Médine, l’école mâlikite sera assez vite connue en Egypte, en Haute-Egypte surtout. Elle rayonnera de là sur l’ensemble de l’Afrique musulmane. Si le hanafisme continue d’avoir des représentants en Tunisie et en Algérie, qui furent sous la tutelle ottomane, le malikisme y reste l’école de beaucoup la plus suivie, et la seule reconnue au Maroc. C’est sous sa forme mâlikite que l’Islâm est le plus répandu en Afrique noire. On en trouve enfin des traces sur la côte est de la péninsule arabique. L’école Mâlikite s’est à un moment divisée en trois tendances différentes :

– Celle de Kairouan, fondée par Sahnûn ;
– Celle de Cordoue, fondée par Ibn Habîb ;
– Celle de l’Irâq, fondée par le cadi Ismâ‘îl et ses disciples.

Ni les Maghrébins, ni les Espagnols, n’acceptèrent le jugement des Irakiens, s’il n’était pas appuyé par une tradition remontant à l’imâm Malik ou à l’un de ses disciples. Plus tard, ces trois tendances se fondirent en une seule, notamment grâce aux efforts d’Abû Bakr at-Turtûshî et, plus tard, d’Ash-Shârimsâhî.

L’école shâfi‘ite

L’école shâfi‘ite continue de dominer en Basse-Egypte, au Hijâz (du moins en partie), en certaines régions de l’Arabie du sud, en Afrique orientale musulmane, en Indonésie, et Malaisie. Elle est présente aussi en Erythrée et Somalie, sur les côtes Malabar et Coromandel de l’Inde, et parmi les groupes musulmans de Thaïlande, du Vietnam, des Philippines.

L’école hanbalite

Durant longtemps, et au contraire des autres écoles, elle n’eut pas sous sa mouvance des territoires délimités. Elle fut très influente à Baghdâd. Elle eut de nombreux représentants en Palestine et en Syrie, spécialement à Damas et ses alentours.

Les divergences

Après la mort du Prophète (saw) les musulmans tirèrent leurs lois du Coran et de la Sunna, avec d’inévitables différences. En effet, ces deux sources sont en langue arabe. Or, il est fréquent, surtout en matière juridique, que le sens des mots tirés du Coran et de la Sunna diffère. De plus, le degré de recevabilité des traditions prophétiques est extrêmement variable et il arrive même que leur contenu – en matière légale – soit apparemment contradictoire. Comme il faut bien trancher, les opinions diffèrent. Et puis – autre cause de divergence – il se pose des problèmes qu’aucun texte n’a prévu. En tel cas, on procède par comparaison et raisonnement analogique. De la sorte, les désaccords sont inévitables, et c’est ce qui explique leur apparition parmi les premiers musulmans et les docteurs qui leur succédèrent.

Quoi qu’il en soit, ces divergences portent exclusivement sur des matières à trancher par la voie de l’interprétation ou Ijtihad, et, partant, le principe du libre examen rend ces divergences parfaitement légitimes.

Les divergences en matière de méthode

Les quatre écoles de droit sunnites sont unanimes à dire que quatre sources premières (usûl) permettent de déterminer la qualification légale d’un acte quelconque :

– Le Coran
– La Sunna
– Le consensus communautaire
– La déduction analogique

Ces quatre sources sont classées par ordre de supériorité. Ainsi, lorsque le Coran ne fournit pas la solution d’une difficulté posée, on fait appel à la Sunna. Si la Sunna n’est pas plus explicite, on se réfère au consensus. Si le consensus fait défaut, on recourt au raisonnement analogique. Le fondement scripturaire de ce classement est cette tradition rapportée par al-Baghawî d’après Mu‘âdh :

« Lorsque l’Envoyé de Dieu (saw) voulut envoyer Mu‘âdh au Yémen, il lui demanda :

– Comment trancheras-tu les différends portés devant toi ?
– Je rendrai mon jugement selon le Livre de Dieu, répondit-il.
– Et si tu ne trouves pas la solution dans le Livre de Dieu ?
– Je la chercherai dans la Sunna de Son Prophète, reprit-il.
– Et si tu ne la trouves pas dans la Sunna ?
– Je mettrai à profit mon opinion, et n’épargnerai pas mes efforts pour trouver la solution ».

Puis Mu‘âdh relate :

« L’Envoyé de Dieu (saw), d’un geste de satisfaction, me frappa la poitrine, disant :

« Louange à Dieu qui a permis au messager de son Prophète de l’agréer ».

Mais ces mêmes écoles divergent concernant la portée normative de ces quatre sources légales. Voici, dans leurs grandes lignes, les causes de leur désaccord à ce sujet.

1- Leur désaccord concernant les règles d’interprétation du Coran et de la Sunna

Comme on le sait, le Coran, comme d’ailleurs la Sunna, présente alternativement deux caractères : ou bien il est péremptoire et univoque, de telle sorte que le sens s’en comprend à la simple lecture ; ou bien il est ambigu et équivoque, c’est-à-dire qu’il peut être compris de diverses façons, de telle sorte que seul le raisonnement est à même de faire prévaloir telle interprétation sur telle autre. Dieu a dit :

« C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre, dont tels versets, sa partie mère, sont péremptoires, et tels autres ambigus »

(Coran 3 Verset 7)

Qu’il y ait dans le Coran du péremptoire et de l’ambigu, de l’univoque et de l’équivoque, n’est pas un phénomène propre au Coran, c’est le fait de la langue arabe en générale.

La question des termes généraux

Une des causes de désaccord entre les quatre écoles en matière d’exégèse est celle des termes généraux (alfâdh al-‘umûm). Les quatre écoles s’accordent à dire que tous les termes généraux du Coran qui contiennent une prescription légale ont par eux-mêmes valeur générale et concernent la totalité des individus de la catégorie qu’ils désignent. Ainsi, dans le verset :

« Quant aux répudiées (al-mutallaqât), mise en observation de leur personne pour une durée de trois cycles de pureté »

(Coran 2 Verset 228)

Le terme al-mutallaqât englobe sans restriction tout ce qui est désigné par cette appellation. Mais les quatre écoles divergent ensuite entre elles sur le point de savoir si ces termes généraux englobent les individus qu’ils désignent de façon certaine (qat’î), auquel cas ils obligent à la foi et à l’action, ou de façon conjecturale (dhannî), auquel cas ils obligent seulement à l’action et non à la foi.

– Pour les mâlikites, les shâfi’ites et les hanbalites, ils les désignent de façon conjecturale.

– Pour la majorité des hanafites, ils les désignent de façon certaine dès lors qu’aucun indice n’a restreint leur portée.

De ce désaccord, découle au moins une question de taille : peut-on restreindre (takhsîs) la portée d’un énoncé scripturaire dont le mode de transmission emporte la certitude, comme le Coran ou la Sunna mutawatir, en s’appuyant sur une source légale conjecturale, comme le hadîth de transmission individuelle (khabar al-wâhid) ou l’analogie ?

– On s’en doute, pour la majorité des hanafites la réponse est non, car, disent-ils, les termes généraux tirés du Coran et de la Sunna mutawâtira emportent la certitude tant du point de vue du mode de transmission que du point de vue du sens, or ce qui est tel ne saurait être restreint dans sa portée par une source conjecturale.

– Pour les autres écoles, la chose est globalement permise.

Exemple : Entre autres applications pratiques qui découlent de leur désaccord sur cette question, citons le cas célèbre du musulman qui a tué intentionnellement un non musulman : est-il passible de la peine du talion ?

– Pour l’imâm Abû Hanifa et ses disciples, la réponse est oui. Ceux-ci se fondent sur le sens général du verset :

« Vous qui croyez, le talion vous est prescrit en cas de meurtre » (Coran 2 Verset 178), lequel englobe indifféremment le meurtre du musulman et du non musulman.

– Selon les mâlikites, les shâfi’ites et les hanbalites, il n’y a pas lieu à talion en tel cas. En effet, ceux-ci restreignent la portée du verset en s’appuyant sur la tradition prophétique rapportée par al-Boukhâri d’après Abû Juhayfa : « Comme je demandais à ‘Ali s’il y avait chez eux un écrit, il me répondit : Non, nous n’avons rien d’autre que le Livre de Dieu ou la compréhension qui en a été donnée à tout homme musulman, ou encore ce qui est inscrit sur ce feuillet. – Et qu’est-ce que contient ce feuillet ? reprit Abû Juhayfa. – Dans ce feuillet, répondit ‘Ali, il y a ce qui a trait au prix du sang, à la libération des prisonniers et le principe que la vie du musulman n’est pas due pour celle du non musulman », et ce, bien que cette tradition n’ait pas été transmise par voie de tawâtur.

La question de l’implicite à contrario, ou mafhûm al-mukhâlafa

Un autre point de divergence entre les quatre écoles concerne le procédé exégétique du mafhûm al-mukhâlafa, lequel consiste à déduire, de l’apparence d’un énoncé, une forme d’implicite appelée « implicite à contrario ». En d’autres termes, de ce que, dans un verset (ou un dire prophétique), telle disposition légale paraît explicitement liée à la présence dans la chose concernée d’une qualité donnée, est-ce que l’on peut conclure à contrario qu’elle ne s’applique pas en l’absence de cette qualité ?

L’illustration de cela est le dire de l’Envoyé de Dieu (saw) comme quoi l’aumône légale est à payer sur les moutons au pâturage ; on en conclura, en vertu du mafhûm al-mukhâlafa, qu’elle ne concerne pas les moutons demeurés à l’étable. Les mâlikites, les shâfi’ites et les hanbalites admettent ce procédé, tandis que les hanafites, eux, le récusent dans ses grandes lignes.

Exemple : Entre autres exemples pratiques qui découlent de leur désaccord à propos de ce procédé, il y a la question de l’entretien de la femme frappée d’une répudiation irrévocable (bâ’in).

– Pour les mâlikites, les shâfi’ites et les hanbalites, l’entretien de la femme frappée d’une répudiation irrévocable n’est pas obligatoire tant qu’elle n’est pas enceinte. Ils arguent du principe du mafhûm al-mukhâlafa que le verset : « Si elles sont en cours de grossesse, pourvoyez à leur entretien jusqu’à ce qu’elles accouchent » (Coran 65 Verset 6), rend l’entretien de la femme répudiée obligatoire à condition que celle-ci soit enceinte. D’où l’on conclut à contrario que son entretien n’est pas obligatoire si elle n’est pas enceinte.

– Pour les hanafites, l’entretien de la femme frappée d’une répudiation irrévocable est obligatoire, qu’elle soit en cours de grossesse ou non, car ils récusent le procédé du mafhûm al-mukhâlafa.

Une addition au texte « multi-confirmé » est-elle une abrogation partielle de celui-ci ?

Une autre question consiste à se demander si une addition au texte « multi-confirmé » (mutawatir) doit être considérée comme une abrogation (naskh) partielle de celui-ci.

Par exemple, s’agissant des ablutions mineures, le Coran prescrit quatre obligations :

« Vous qui croyez, si vous vous mettez en devoir de prier, alors lavez-vous le visage, et les mains jusqu’aux coudes, passez-vous la main sur la tête et lavez-vous les pieds jusqu’aux chevilles »

(Coran 5 Verset 6)

Mais une tradition prophétique ajoute :

« Les œuvres ne valent que par les intentions, et chaque homme n’obtient que ce qui est conforme à son intention ».

La question est donc de savoir si l’intention s’ajoute au quatre premières obligations des ablutions.

– Si, comme les hanafites, on part du principe qu’une addition au texte coranique constitue une abrogation partielle de celui-ci, la réponse est non, car seul un texte « multi-confirmé » de degré équivalent peut alors l’abroger. Or, la tradition prophétique ci-dessus étant âhâd, et donc d’un degré inférieur, elle ne peut s’additionner au verset coranique, et donc l’abroger partiellement. D’où l’on conclut qu’il n’est pas obligatoire de formuler l’intention de s’ablutionner en droit hanafite.

– Et si, comme les mâlikites, les shâfi’ites et les hanbalites, on est d’un avis contraire, la réponse est oui, car, disent-ils, il n’y a abrogation que si la prescription nouvelle est incompatible avec la précédente. Quand ce qui a été ajouté à la prescription initiale peut s’accorder avec elle, on ne saurait, dans ce cas, parler d’abrogation. On déduit de cela qu’il est obligatoire de formuler l’intention de faire ses ablutions, selon les mâlikites et les shâfi’ites.

2- Leur désaccord concernant le Coran

Le Coran est le Verbe de Dieu, révélé à Son Prophète (saw) et transcrit entre les deux couvertures du corpus. Le texte en a été transmis sans interruption en Islâm. Mais la Tradition prophétique atteste que l’Envoyé de (saw) a récité tel ou tel vocable coranique de telle ou telle manière. Or ces variantes de lecture d’un même vocable sont quelquefois rapportées par une chaîne de garants ininterrompue, multiple et convergente (mutawatir), ce qui ne laisse pas de causer des divergences dans sa portée normative.

Exemple Ainsi, le verset six de la sourate cinq, que l’on peut traduire :

« Vous qui croyez, si vous vous mettez en devoir de prier, alors lavez-vous le visage, et les mains jusqu’au coude, passez-vous la main humectée sur la tête, et (lavez-vous) les pieds », ou que l’on peut traduire : « passez-vous la main humectée sur la tête et sur les pieds », suivant que le vocable ‘arjul soit lu au cas direct (nasb) ou au cas indirect (khafd).

La question des lectures « isolées »

Il arrive aussi que ces variantes de lecture soient rapportées par une chaîne de rapporteurs ne répondant pas aux conditions du tawâtur.

Exemple Ainsi, le verset 89 de la sourate 5, lequel est rapporté d’après Ubayy ibn Ka‘b et ‘Abd-Allâh Ibn Mas‘ûd en ces termes : « Dieu ne vous tient pas grief du verbiage dans vos serments, mais bien de faillir dans vos engagements. De quoi l’expiation consisterait à assurer à dix pauvres une nourriture de la moyenne dont vous nourrissez votre famille ; ou bien leur vêtement ; ou encore à affranchir une nuque d’esclave ; pour qui n’en aurait pas le moyen, un jeûne de trois jours consécutifs » au lieu de « un jeûne de trois jours » sans l’adjectif « consécutifs » selon la chaîne de garants ininterrompue, multiple et convergente.

– Selon les hanafites et Ahmad, dans un des deux avis qui lui sont attribués, les trois jours de jeûne prescrits en cas de rupture d’un engagement doivent obligatoirement se suivre dans le temps, conformément à la lecture isolée de Ubayy ibn Ka‘b et ‘Abd-Allâh ibn Mas‘ûd, Car de deux choses l’une : ou bien l’adjectif « consécutifs » est un terme coranique, ou bien il s’agit d’un terme prophétique explicitant le Coran ; or dans les deux cas, ce terme oblige à l’action.

– Selon les Shâfi‘ites, Mâlik et Ahmad, dans le second avis qui lui est attribué, ces trois jours de jeûne ne doivent pas forcément se succéder, conformément à la lecture mutawâtir du verset 89 de la sourate 5. En effet, de deux choses l’une : ou bien l’adjectif « consécutifs » est un terme coranique, ce qui est impossible étant donné l’impossibilité que les multiples rapporteurs du verset l’aient omis volontairement ; ou bien il s’agit d’un terme prophétique ou d’un avis émis par un Compagnon, auquel cas ils n’ont pas force de loi.

3- Leur désaccord en matière de Sunna

Au sens propre, le mot sunna signifie ce que l’Envoyé de Dieu (saw) a établi comme règle, comme loi ; c’est le jugement qui lui est imputé quant à savoir si tel acte est interdit, réprouvable, indifférent, recommandé ou obligatoire. Il est incontesté que l’Envoyé de Dieu (saw) ne s’est jamais prononcé en matière légale que sous l’influence d’une inspiration divine manifeste ou latente, et que, par conséquent, sa Sunna est certainement la manifestation de la raison divine. Dieu a dit :

« Il [le Prophète, s’entend] ne parle pas selon son impulsion, ceci n’est que révélation à lui révélée »

(Coran 53 Verset 3-4)

Il a dit aussi :

« Dieu a fait descendre sur toi le Livre, la sagesse, et t’a appris ce que tu ne connaissais pas. La grâce de Dieu sur toi est immense »

(Coran 4 Verset 113)

Dans sa Risâla, l’imâm Ash-Shâfi’î a dit :

« Dieu a mentionné le Livre (al-Kitâb) et la Sagesse (al hikma). J’ai entendu un spécialiste en science coranique – que j’agrée – dire : La Sagesse, c’est la Sunna de l’Envoyé de Dieu (saw). Or ce propos ressemble à ce que Dieu même dit, mais Dieu Seul sait. Car la mention du Coran est immédiatement suivie de celle de la Sagesse. Dieu évoque Sa bonté à l’égard de Ses créatures et la manifeste en leur enseignant le Livre et la Sagesse. Il n’est donc pas admissible – mais Dieu Seul sait – de distinguer la Sagesse de la Sunna ».

Cette Sunna s’est manifestée de diverses manières : soit par une parole, soit par un acte accompli par lui (saw) de telle ou telle façon, soit enfin par son consentement tacite à un acte accompli par quelqu’un d’autre de telle ou telle façon. La Sunna de l’Envoyé de Dieu (saw) nous est connue par des traditions que l’on divise en deux catégories : les traditions « multi-confirmées » (al-akhbâr al-mutawâtira) et les traditions « isolées » (al-akhbâr al-âhâd). Une tradition « multi-confirmée », c’est-à-dire fondée sur une chaîne de transmetteurs ininterrompue dont le témoignage est multiple et convergent, est à considérer comme emportant la certitude absolue, obligeant à la foi et à l’action.

S’agissant maintenant des traditions isolées, c’est-à-dire rapportées par un nombre de personnes trop restreint pour pouvoir être considéré comme constituant une tradition « multi-confirmée », le plus souvent par une série de personnes isolées, commençant par un contemporain de l’Envoyé de Dieu (saw), pour se terminer par le traditionniste qui, le premier, a fait un usage public et connu du dire prophétique, les quatre écoles divergent sur cette question.

Le problème des traditions âhâd

Selon les hanafites, les mâlikites et les shâfi‘ites les traditions « isolées » sont à considérer comme n’emportant pas la certitude. Elles n’obligent donc pas les musulmans à y conformer leur foi, mais seulement à y conformer leur action.

Selon les hanbalites, elles obligent à la foi aussi bien qu’à l’action.

Cas où une tradition âhâd contredit l’analogie

Les avis des docteurs de la Loi sont partagés concernant la tradition âhâd qui contredit une analogie dont la raison (‘illa) est déduite (mustanbata) d’un texte emportant la certitude.

– D’après les imâms Ash-Shâfi’î et Ahmad, c’est la tradition âhâd qui, dans l’absolu, prévaut en tel cas.

– Pour certains hanafites, on n’est tenu de privilégier la tradition âhâd que dans le cas où le garant de celle-ci est qualifié de docte.

– Enfin pour les disciples de l’imâm Malik, on fera prévaloir l’analogie sur la tradition âhâd dans tous les cas.

Exemple : Entre autres applications pratiques qui découlent de leur désaccord sur ce point, citons le cas de celui qui, en état de jeûne obligatoire, mange ou commerce avec sa femme par mégarde : doit-il refaire à titre de compensation le jour de jeûne qu’il a rompu et expier ?

– Selon les shâfi‘ites et les hanafites, il n’est tenu à rien, car d’après Abû Hurayrah, l’Envoyé de Dieu (saw) a dit :

« Celui qui, par mégarde mange et boit, doit continuer à jeûner, car c’est Dieu qui a fait qu’il a mangé ou qu’il a bu ».

Cette tradition est rapportée notamment par al-Boukhâri. Dans une variante rapportée par Ibn Hibbân et ad-Dâraqutnî, il y a cet ajout : « Et il n’est pas tenu de compenser ».

– Selon les mâlikites au contraire, il est tenu de reprendre un jour de jeûne à titre de compensation, car la tradition rapportée par Abû Hurayrah est contraire à la stricte analogie, laquelle implique que le jeûne soit annulé par ce genre d’actes. Quant à l’oubli, il n’a pas d’incidence selon eux sur les préceptes obligatoires comme le jeûne de Ramadan.

Le problème des traditions mursal

Les traditions prophétiques diffèrent également, on le sait, par la qualité de leurs chaînes de transmetteurs. Concernant ce qu’on appelle le hadîth mursal, c’est-à-dire une tradition rapportée par un des tâbi’ûn, sans que celui-ci indique de quel Compagnon il la tient, il y a désaccord entre les quatre écoles à ce sujet.

– En gros, pour l’imâm Ash-Shâfi’î, on ne saurait y voir une preuve pour décider d’un statut légal, à moins que des traditionnistes sûrs et de mémoire parfaite rapportent ensemble une tradition en s’appuyant sur une chaîne de garants remontant jusqu’à l’Envoyé de Dieu (saw) et de contenu semblable à ce que ce tâbi’î a transmise, ou que la tradition relâchée soit conforme à celle d’un autre transmetteur de traditions relâchées, dont on a reconnu la science et dont les garants sont autres, ou que certains propos de Compagnons de l’Envoyé de Dieu (saw) sont conformes à la tradition que ce rapporteur a rapportée…

– Pour l’imâm Malik, les hanafites et les hanbalites, la tradition « relâchée » à force de loi. Ceux-ci arguent que les tâbi’ûn étaient unanimes à considérer la tradition « relâchée » comme une preuve normative et qu’ils avaient l’habitude d’omettre le Compagnon de qui ils la tenaient.

Exemple : Entre autres conséquences pratiques de leur désaccord sur cette question, il y a le cas de la femme « étrangère » (avec laquelle il n’y a pas d’empêchement légal de se marier) qui touche un homme : lui fait-elle perdre ses ablutions ?

– Pour les hanafites, la réponse est non, car Abû Daoud et an-Nasa ’y rapportent d’après Ibrahim at-Taymî, d’après ‘A’ishah :

« Le Prophète (saw) embrassait l’une de nous, puis il priait sans refaire ses ablutions ».

Abû Daoud a dit :

« Cette tradition est mursal ; Ibrâhîm at-Taymî ne l’a pas entendue de ‘Â’isha ».

– Pour l’imâm Ash-Shâfi’î, une femme qui n’est pas interdite à un homme au degré prohibé, lui fait perdre ses ablutions au cas où elle le touche. Celui-ci invoque pour lui le verset coranique : « Ou avez touché (lâmastum) à des femmes » (Coran 5 Verset 6), faisant valoir que le mot lams, pris au sens propre, désigne le contact d’une peau contre l’autre. Quant à la tradition rapportée par Abû Daoud, l’imâm Ash-Shâfi’î l’a rejetée, car étant qualifiée de relâchée.

4- Leur désaccord concernant le consensus communautaire

Il est de principe que la Communauté musulmane est infaillible quand elle se prononce en matière légale. C’est une grâce particulière que Dieu lui a faite. Dans le Coran, il est dit :

« Vous êtes la meilleure communauté jamais produite aux hommes : vous ordonnez le convenable, proscrivez le blâmable et croyez en Dieu »

(Coran 3 Verset 110)

Et l’Envoyé de Dieu (saw) a dit :

« Ma Communauté ne tombera pas d’accord pour accepter l’erreur ».

Dieu a dit dans le Coran :

« Qui rompt avec l’Envoyé après que la guidance se soit manifestée à lui, qui adopte un chemin autre que celui des croyants, de lui Nous Nous détournons autant qu’il se détourne, et le faisons brûler dans la Géhenne. – Exécrable destination ! »

(Coran 4 Verset 115)

Ainsi, dans la menace divine, la séparation d’avec le Prophète est associée à la poursuite d’une autre voie que celle des croyants. Or, si la poursuite d’un autre chemin que celui des croyants était permise, elle n’aurait pas été associée dans la menace divine à ce qui est interdit. Et si le fait de suivre un autre chemin que celui des croyants est une faute, il est obligatoire de l’éviter, ce qui n’est possible qu’en suivant le chemin des croyants. Ibn Maja rapporte dans ses Sunan le dire du Prophète (saw) suivant :

« Ma Communauté ne se réunira pas sur une erreur ».

Certes, cet énoncé a été rapporté par voie de âhâd (c’est-à-dire, par des Compagnons isolés et relayés ensuite pas une seule chaîne, ou par un très petit nombre de chaînes), mais sa signification, elle, a été rapportée par de multiples chaînes véridiques et concordantes (tawâtur ma‘nawî). On a rapporté en effet que l’Envoyé de Dieu (saw) a dit :

« Ma Communauté ne se réunira pas sur un égarement ».

Il a dit aussi :

« La main de Dieu est avec ma Communauté ».

Et encore :

« Satan est avec le solitaire et s’éloigne de ceux qui sont deux ensemble ».

Et aussi :

« Ce que les croyants tiennent pour bon est bon aux yeux de Dieu », ou encore : « Celui qui s’éloigne de la Communauté, ne serai t-ce que d’un empan, arrache de son cou le lien de l’Islâm ».

Où l’on voit que l’Envoyé de Dieu (saw) a nié qu’aucune erreur puisse provenir du consensus des croyants. Or l’une des choses sur lesquelles la Communauté est tombée d’accord est l’impossibilité de s’opposer à son consensus. Il s’ensuit que cette interdiction est nécessairement vraie. Lors donc qu’en présence d’une action que ne prévoit aucun énoncé, ni du Coran, ni de la Sunna, la Communauté tombe d’accord soit pour qualifier expressément cette action (d’obligatoire, recommandée, indifférente, réprouvable ou interdite), soit pour la qualifier tacitement, en la ratifiant par son attitude ; et, de même, quand la Communauté qualifie implicitement une action nouvelle en l’accomplissant elle-même, la qualification légale obtenue emporte la certitude, à l’égal des qualifications formulées dans les énoncés du Coran et de la Sunna.

La coutume de Médine

L’imâm Malik est remarquable pour avoir ajouté, aux sources du droit connu des autres docteurs, un autre élément : la coutume de Médine. Pour lui, les gens de Médine, en raison de leur foi et de leur traditionalisme, se rattachaient, sans hiatus, aux générations précédentes, pour savoir ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire. Et l’on pouvait remonter ainsi à la génération directement en rapport avec les actes du Prophète et que celui-ci avait pu former.

Pour l’imâm Malik, la coutume de Médine est donc une des sources du droit musulman. Cependant, de nombreux docteurs pensent que la coutume de Médine est plutôt une question de consensus communautaire. Ils sont donc en désaccord avec l’imâm Malik sur ce point, puisque le consensus communautaire concerne l’ensemble des musulmans, et non pas seulement les habitants de Médine.

Par exemple, dans sa « Risâla », toute la critique de l’imâm Ash-Shâfi’î à l’égard de l’imâm Malik réside dans cette proposition :

« C’est la norme en usage chez nous » (à Médine, s’entend).

Pour Ash-Shâfi’î un consensus local ne peut répondre aux exigences de totalité chères à la Communauté ; n’est-il pas dit que l’Envoyé de Dieu (saw) a été envoyé à l’humanité toute entière ?

Exemple : Entre autres exemples pratiques qui découlent du désaccord des imâms sur cette question, il y a la vocation héréditaire des parents par les femmes.

– Pour l’imâm Malik, les parents par les femmes, ou dhawû al-arhâm, sont privés de toute vocation héréditaire. Se fondant sur la coutume de Médine, celui-ci a dit :

« La norme en vigueur chez nous […] est que le fils du frère de la mère, l’aïeul père de la mère, l’oncle frère du père de la mère, l’aïeule mère du père de la mère, la fille du frère germain et la tante paternelle et maternelle, ne recueillent rien de la succession de leur parent défunt ».

– Pour les hanafites et les hanbalites, les parents par les femmes héritent en l’absence d’un parent ‘âsib ou d’un héritier à fard autre que le mari ou la femme.

5- Leur désaccord en matière de raisonnement analogique

Tandis que l’école dhâhirite, a cru, semble-t-il, devoir s’arrêter au trois sources de droit précédentes, Coran, Sunna et consensus communautaire, les quatre écoles orthodoxes, s’autorisant de l’exemple des Compagnons du Prophète (saw) et de l’opinion de la majorité de leurs successeurs, passent à une quatrième source, le qiyâs.

Le qiyâs, ou raisonnement analogique, est un raisonnement à deux termes selon un mode de procédé opérant du semblable au semblable, du semblable au contraire, du plus au moins, du moins au plus et sans moyen terme universel.

Faut-il croire que la doctrine des quatre écoles tend à accorder au raisonnement analogique une autonomie rationnelle totale ?

– Nullement. D’abord de par sa définition même, ce raisonnement doit supposer l’existence d’un cas-modèle auquel on assimile le cas nouveau ; or le cas-modèle doit être préalablement mentionné ailleurs : dans le Coran, la Sunna ou le consensus communautaire. Ensuite, le trait d’union entre les deux cas doit, ou constituer ou envelopper le pourquoi de la législation, la raison pour laquelle la solution du cas primitif a été adoptée. Où l’on voit que l’analogie légale se réfère toujours à l’argument d’autorité que fournit le texte scripturaire, Coran, Sunna ou consensus communautaire. Dans son Al-Milal Wa An-Nihal, ash-Shahrastânî a dit à ce propos :

« Il n’est pas admissible que l’Ijtihad soit abandonné à lui-même et qu’il échappe ainsi à toute norme de législation divine. En effet, le raisonnement pas analogie, s’il en venait là, ne tarderait pas à devenir à lui seul une autre Loi religieuse, rivale de la première. Etablir le bien fondé d’un statut juridique sans aucun fondement traditionnel [Coran ou Sunna], reviendrait à instituer un nouvel ordre de choses, et celui qui instituerait un semblable statut se ferait lui-même Législateur ».

Ce qui ne saurait être, puisque Dieu seul à pouvoir de légiférer.

Peut-on faire jouer l’analogie en matière de peines légales et d’expiations ?

– Selon les imâms Ash-Shâfi’î et Ahmad Ibn Hanbal, ainsi que la plupart des légistes, il est permis de faire jouer l’analogie en matière de peines légales et d’expiations. Ceux-ci invoquent pour eux les textes scripturaires, le consensus communautaire et les arguments rationnels. S’agissant d’abord des textes scripturaires, ils arguent que ceux-ci autorisent l’usage absolu de l’analogie sans restriction aucune. Or, s’il avait dû y avoir des restrictions à l’usage de l’analogie, il est bien certain que les textes scripturaires eu auraient faire mention, ce qui n’est pas le cas. Quant au consensus commentaire, on rapporte que ‘Umar commença par châtier de quarante coups de fouet le buveur de vin ; mais quand il vit que les hommes pratiquaient ce vice à qui mieux mieux, il rassembla les Compagnons pour les consulter à ce propos et leur exposa comment cette habitude se généralisait. ‘Ali émit cet avis :

« J’estime que tu dois infliger au coupable quatre vingts coups de fouet ; en effet, à boire, il s’enivre ; devenu ivre il délire, et quand il délire il profère des calomnies ; infliges-lui donc la même peine que le calomniateur ! »

A la suite de cette délibération, ‘Umar appliqua la peine de quatre-vingts coups jusqu’à la fin de son règne, et les imâms firent de même après lui. Or, l’avis émis par ‘Ali découle d’une analogie.

– Pour les hanafites, on ne peut user de l’analogie en ces matières, car la fixation des peines légales et des expiations transcende la raison humaine. Faute de savoir pourquoi Dieu les a fixés à tel ou tel nombre, il est impossible d’utiliser les textes scripturaires comme base de déduction analogique. D’autre part, les peines légales, comme les expiations, sont des sanctions ; et le raisonnement analogique emporte le doute et non la certitude. Or, le principe veut qu’en cas de doute, les sanctions pénales sont annulées, à cause du dire prophétique :

« Annulez les sanctions pénales en cas de doute ».

Exemple : – Pour les shâfi‘ites, les hanbalites, ainsi que Mâlik, le violateur de sépultures qui enlève les linceuls des cadavres encourt la peine d’amputation, par analogie avec le voleur. En effet, dans l’usage le tombeau est un lieu de sûreté pour cette nature d’objets, bien qu’il ne le soit pas pour d’autres. Or dans les deux cas, il y a soustraction frauduleuse du bien d’autrui alors qu’il était dans un lieu de sûreté.

– Pour Abû Hanifa et Muhammad Ibn al-Hasan, le violateur n’encourt pas l’amputation, parce que le tombeau n’est pas un lieu de sûreté pour autre chose que le linceul, et partant, l’analogie ne vaut pas ici.

6- Leur désaccord en matière de sources légales annexes

Le principe de l’intérêt indéterminé, ou maslaha mursala

L’intérêt indéterminé, ou maslaha mursala est un raisonnement inductif portant sur un cas nouveau n’étant ni confirmé par un précédent issu d’un texte sur lequel on puisse fonder une analogie, ni infirmé par un énoncé scripturaire, Coran ou Sunna. Ce raisonnement est établi à partir de procédés généraux auxquels la Loi a eu recours sur d’innombrables chapitres plus ou moins apparentés à celui en question, et de l’ensemble desquels se dégage une idée certaine : que tel genre d’intérêt est un but essentiel que la Loi recherche à réaliser.

Le cas nouveau ne fait alors que nous présenter un autre moyen, devant être employé quand il s’impose, pour réaliser cet intérêt générique. On a prétendu que Malik, à la différence des trois autres imâms, était le seul à autoriser le principe de l’intérêt indéterminé et que celui-ci était donc allé plus loin dans « le sens libéral ».

Or, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que les trois autres imâms eux aussi autorisaient ce principe, quoiqu’ils ne le rangeassent pas parmi les sources légales du droit musulman en tant que telles, le considérant comme une des formes du raisonnement analogique.

C’est ainsi que l’imâm Ahmad considérait l’intérêt indéterminé comme une des branches du raisonnement analogique, que l’imâm Al-Shâfî’î l’appelait qiyâs et qu’Abû Hanifa le nommait istihsân…

Exemple : Prenons par exemple la question suivante : Nous est-il permis, en cas de guerre, de tirer dans la direction de nos soldats faits prisonniers par l’ennemi et derrière lesquels celui-ci s’est camouflé pour tirer sur nous et envahir nos pays ? Ou bien faut-il au contraire suspendre nos armes, par respect pour la loi formelle qui nous interdit d’attenter à une vie innocente ? A cette question, on répond en optant pour le moindre mal de cette alternative. Si nous restions inactifs par respect pour ce petit nombre des nôtres que le malheur a fait servir de bouclier à l’ennemi, le reste de l’armée, qui est la plus grande masse, serait exterminé, et nos prisonniers eux-mêmes ne seraient peut-être pas épargnés par la suite. Or, il est hors de doute que la Loi révélée accorde toujours la priorité à la sauvegarde de la vie collective et de l’intérêt commun durable sur celle des vies particulières et des intérêts passagers. Donc, tout en prenant nos précautions pour épargner nos hommes nous ne devons pas interrompre nos opérations, dussent-elles les atteindre, si nous présumons la réussite de celles-ci. Le principe de la présomption de continuité, ou istishâb Cette méthode de raisonnement juridique consiste à consacrer une action dans le temps présent au nom du fait qu’elle existait dans le passé. Ainsi, dans le cas où, dans une circonstance donnée, un statut juridique est établi, ce statut demeure, même si les circonstances changent. Le principe de présomption de continuité est appliqué par l’ensemble des shâfi‘ites, et rejeté dans ces grandes lignes par la plupart des docteurs des autres écoles de droit sunnites.

Exemple : Entre autres applications juridiques qui découlent de leur désaccord concernant le fondement légal de l’istishâb, il y a la question de l’héritage de la personne disparue.

– Pour l’imâm Ash-Shâfi’î on doit considérer le disparu comme étant encore en vie ; aucun de ses héritiers ne peut recueillir sa succession, mais il peut lui-même recueillir la succession d’autrui. L’argument invoqué par l’imâm est que le disparu était vivant à l’origine ; on suppose donc qu’il en est de même à présent.

– Pour les hanafites, le disparu ne peut ni donner ni recueillir par succession, car le principe de l’istishâb sert seulement à écarter et non à établir un fait passé.


Et Allah Seul Sait….
Sur ce, Que la Paix de Dieu soit sur vous et vous accompagne partout où vous êtes.

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